Les romanciers, à moins qu'ils soient des inventeurs patentés en intrigues et histoires diverses, écrivent toujours la même chose, reviennent sur le même thème, approfondissant leur musique, autrement dit leur style, remettant sur le métier leur ouvrage, composant une variation nouvelle autour du sujet dont ils sont (c'est tellement le cas de Mingarelli) des captifs amoureux... Ainsi Jacques Poulin, ainsi Modiano. Poulin, c'est la tendresse, Modiano l'inquiétude, Mingarelli l'amitié. L'amitié masculine, s'entend. Celle qui, non dite, non jouée, accapare le coeur des garçons, des soldats, des marins et, la plus précieuse de toute, celle qui pourra unir un père à son fils.

À son 15e roman, cet ermite de la littérature qu'est Hubert Mingarelli (né en 1956 en Lorraine, il vit dans un hameau des Alpes françaises) arrive à la perfection avec la matière qu'il épure, qu'il peaufine sans l'étirer, cette matière puisée dans sa propre vie depuis qu'à 17 ans (comme Joseph Conrad) il s'engagea dans la marine, qu'il y resta trois ans pour revenir à terre et s'isoler avec des souvenirs de camaraderie intense, de l'infini dans les yeux, de l'infini océanique, et de la mélancolie à assouvir par la littérature.

 

Dans Quatre soldats (Médicis 2003), dans Hommes sans mère, on suivait des enfants engagés dans l'armée et égarés dans la guerre, on marchait avec deux marins tristes et taiseux allant nonchalamment au bordel; il y a toujours, chez Mingarelli, l'avant, le passé arraché qu'il recompose, transpose, qu'il manie comme un montreur de marionnettes s'en tient à ses quelques pupazzi qu'il agite de ses mains. Ce coup-ci, c'est Fedia et Vassili qui se sont (re)connus à «l'école des mécaniciens de la flotte», du côté de la Baltique, Vassili et Fedia dont l'amitié était si totale qu'ils vivraient dans la terreur d'être, le cours terminé, séparés, envoyés sur différents bateaux...

Ce qui arriva. Ils auront alors éprouvé «une tristesse de chien». Et La promesse, on ne saura pas trop ce qu'elle était. Le roman commence quand Fedia, des années plus tard, part en barque au petit matin et pour la première fois sans son fils, qu'il a laissé endormi à la maison. Dans sa poche, une boîte en carton dans laquelle il a mis les cendres de Vassili. Quand et comment est-il mort, Vassili, on ne le saura pas; qui a remis ces cendres à Fedia, on ne le saura pas non plus. Mais on saura que cette amitié, au hasard d'une retrouvaille dans un port, avait été brisée d'un coup sec aux yeux de Fedia.

Il ne faut pas vous en dire plus, le reste vous le lirez, le reste c'est l'art de Mingarelli, sa marotte d'écrivain minimaliste, cette façon qu'il a de tresser l'intime, de filer le fin, bref d'investir de l'intérieur la forteresse de l'amitié masculine. Un autre chef-d'oeuvre.

La promesse

Hubert Mingarelli Seuil, 138 pages, 24,95$ *****