Et de 35 087! Pas moins de 35 087 lecteurs se sont abonnés jusqu'ici au feuilleton épistolaire de l'auteure Marie Laberge et reçoivent par la poste, aux deux semaines, une lettre de quelques pages de Martha, son personnage fictif.

Cette «maudite bonne idée», comme elle le dit, ne confine pas pour autant Marie Laberge dans sa cuisine, à coller des timbres comme les célèbres Belles-Soeurs de Tremblay. Trente-cinq mille lettres - multiplié par 26 puisqu'il y aura au total 26 lettres de Martha - ça ne s'envoie pas sans plusieurs petits rennes à rémunérer!

 

D'emblée, en entrevue téléphonique, Marie Laberge met à mal quelques mythes. Même si l'abonnement coûte 33 $, cette aventure n'est pas encore hyper lucrative, assure-t-elle. C'est l'équilibre budgétaire... à vue de nez. «Franchement, je ne sais pas trop, parce que par exemple, je ne sais même pas combien me coûtera la base de données en bout de piste.»

Pas moins de huit à dix personnes travaillent au projet, des sous-traitants ont été embauchés pour tout imprimer et tout envoyer, et c'est sans compter les bogues informatiques et les autres pépins qui surviennent.

Donc, il y a encore pas mal d'intermédiaires et les millions ne pleuvent pas, les coûts étant assez élevés.

Autre mythe: Boréal ne doit pas être trop, trop content d'être court-circuité. Le directeur général de la maison d'édition, Pascal Assathiany, dit au contraire que l'idée est très intéressante et qu'il ne s'est senti «ni menacé ni perdant».

Marie Laberge confirme qu'elle a toujours une excellente relation avec Boréal mais que ce projet épistolaire n'a rien à voir avec ce qu'elle fait habituellement. En ce sens, elle n'aurait pas eu de toute façon de permission à demander à sa maison d'édition, dit-elle.

Son projet partait du coeur, de son intention de «briser les solitudes», d'envoyer «des pièces de collection», des lettres à des gens qui sont nombreux à ne recevoir par la poste que des factures.

Pourrait-elle répéter l'idée pour un prochain roman? Envisagerait-elle de l'envoyer directement chez les gens, chapitre par chapitre? La question étonne Marie Laberge qui répond par la négative. Le concept, c'était des lettres.

Un roman, ça ne marcherait pas et les auteurs qui ont une mauvaise relation avec leur éditeur et qui voudraient s'en passer devraient y penser deux fois, à entendre Marie Laberge, qui raconte que son projet lui a valu un travail de fou.

L'auteur Yves Beauchemin trouve en tout cas l'idée très originale et dit que ça lui rappelle l'initiative de grands orchestres qui ont créé leur propre étiquette de disques. Cela lui rappelle aussi Roger Lemelin, «un homme d'affaires averti» qui, en 1982, avait vendu son livre dans les Provigo, au grand déplaisir des libraires.

Justement, parlant de libraires, Blaise Renaud, directeur commercial chez Renaud-Bray, n'est pas enthousiasmé, lui, par l'idée de Marie Laberge. Loin de là. «Je trouve ça plutôt malheureux», dit-il tout en expliquant que ça a causé un certain bouleversement dans le milieu de l'édition.

Des auteurs de best-sellers comme Marie Laberge attirent normalement en librairie des gens qui repartent souvent avec un autre titre, raconte M. Renaud. Au surplus, de gros noms comme le sien permettent au monde de l'édition de mettre sur le marché d'autres livres moins prometteurs, commercialement.

Serge Doyon, attaché littéraire (pas celui de Marie Laberge), trouve en tout cas que c'est une idée de génie, une révolution à laquelle il prend part. «J'ai acheté six abonnements: un pour mes deux soeurs, un pour ma fille, un pour ma belle-fille, un pour ma blonde et un pour moi!»