Spoek Mathambo, Nthato Mokgata de son vrai nom, est artiste audio, artiste visuel, MC, chanteur, artiste tout court. Il suggère l'expression sensible d'un univers futuriste, post-industriel... et africain. Élevé à Johannesburg, ce jeune homme cultivé, brillant, visionnaire, parcourt le monde. Le parcourt dans sa tête, sur l'internet, dans les airs, sur la terre ferme, bref dans tous les recoins virtuels ou physiques qui sont à sa portée.

Prêts à bouleverser vos notions de sono mondiale? Écoutez Father Creeper sous étiquette Sub Pop, à des années lumière de l'idée qu'on peut se faire de la pop culture en Afrique du Sud. Bienvenue au présent et... bienvenue au futur!

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La trajectoire de Spoek Mathambo est celle d'un garçon curieux, ancré dans son époque et dont la curiosité n'a jamais rebroussé chemin:

«Depuis l'enfance, on alimente mon désir et ma fierté de représenter d'où je proviens. Dans mon propre pays, il y a une très grande tradition de culture progressiste, j'essaie de m'y greffer humblement. C'est définitivement une responsabilité», amorce-t-il au bout du (sans) fil. Or, visiblement, cette responsabilité a subi quelques mutations: la culture de Spoek Mathambo n'est plus ce folklore urbanisé, mâtiné de soul ou de musique antillaise, enfin cet univers typique des artistes africains issus des générations qui le précèdent.

«L'Afrique du Sud, soulève-t-il, est un fondement de mon identité mais j'ai commencé très jeune à m'intéresser à d'autres cultures. En plongeant d'abord dans la collection d'albums de jazz de mon père - Archie Shepp, John Coltrane, Albert Ayler, Charles Mingus, Max Roach, Clifford Brown, etc. Simultanément, je réalisais que ma mère écoutait les Rolling Stones, les Beatles, Aretha Franklin, le gospel...

«Ensuite j'ai pigé dans les albums de ma soeur - Pet Shop Boys, Lamb, etc. D'autres  influences se sont ajoutées de mon côté; les musiques d'Aphex Twin ou de Squarepusher, les productions du label Ninja Tune (Coldcut, etc.), des artistes house et techno sans compter le rock indie, le punk, le hip hop de pointe. Bref toutes les musiques progressives qui me venaient à l'oreille. Du Canada où j'ai tourné pour la première fois en mars dernier (première partie de Saul Williams), j'ai été marqué par Buck 65. Aujourd'hui en Afrique du Sud, on peut être sur la même longueur d'ondes que bien des amateurs de musique à Montréal.»

Les conditions propices au développement en Afrique du Sud sont certes pour quelque chose dans l'éclosion d'un artiste comme Spoek Mathambo, ce qu'il confirme: «Johannesburgh traverse une période exceptionnelle. Plusieurs quartiers dangereux sont devenus très fréquentables, tous peuvent y circuler paisiblement. Conséquemment, une nouvelle culture y foisonne.»

Auparavant MC dans les formations Sweat X, Playdoe et Mshini Wam, Spoek Mathambo est de cette génération africaine «township tech», dont l'attention pour de nouvelles esthéthiques ne cesse de migrer. «Les années 40, 50, 60, 70, 80 ou 90 m'intéressent, je varie les époques comme les genres. Ça se fait tout naturellement. Je ne suis d'aucune tribu, je suis ni metalhead ni technohead, ni hiphophead. Je suis de la génération de l'internet, je peux accéder à 20 sites de musique à la fois.»

Ainsi, le souci de représenter un territoire, un peuple, une langue ou une nation cohabite avec d'autres allégeances:

«Je trouve très important de représenter ma culture d'origine mais aussi les endroits où je séjourne à l'étranger, la pop scandinave est un exemple puisque je passe actuellement une partie de ma vie à Malmo en Suède - tout en retournant régulièrement à Johannesburg. En ce sens, je crée des musiques et des chansons qui sont le fil de ma propre histoire. Et mon histoire se déroule à maints endroits. Mes premiers enregistrements ont raconté ma vie passée en Afrique du Sud jusque dans la vingtaine. Ce qui suit est différent. Et je ne suis pas le seul à voir les choses ainsi; toute une génération de musique sud-africaine s'en vient changer la donne - Petite Noir, Dirty Paraffin, plusieurs autres. Il n'y a pas que Die Antwoord dans ce pays!»

Autre caractéristique de l'approche, le changement incessant de configuration.

«Lorsque je suis venu à Montréal en mars dernier (pour la première partie de Saul Williams à La Tulipe), je me suis produit avec des musiciens sud-africains. Tandis que cette fois, je viens entre autres avec un collègue musicien de Malmo (Marcus Holmqvist, électronique et guitare), un batteur de New York (Guillermo Brown). Il y a toujours des changements dans mon groupe. Je ne cesse d'en transformer l'instrumentation et le personnel.»

Réalisateur, bidouilleur, programmeur, il dit créer dans l'esprit d'un artiste visuel et d'un conteur: «Je voulais d'abord être écrivain, puis j'ai entrepris des études de médecine et j'ai oublié mon rêve d'écriture. J'ai finalement abandonné ces études pour compléter un premier cycle universitaire en design graphique. Ce qui me mène à voir la création comme un tout. Je pense à l'histoire, la musique, les images, les vidéos, la scène. Un seul travail au bout du compte.»

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Dans le cadre du Nuit d'Afrique Sound System présenté en collaboration avec Masala Sono et Pop Montréal, Spoek Mathambo partage le programme avec Salivation Army, ce dimanche, 21 h, à la SAT.