Fin juillet, Marcel Cloutier a donné rendez-vous à La Presse dans l’est de Montréal. Il avait une idée derrière la tête. Il a presque toujours une idée derrière la tête quand il marche dans les rues de Montréal ou roule sur une route secondaire ailleurs au Québec. C’est son boulot : déterminer si tel bout de rue peut donner l’impression de se trouver en 1930 ou si telle maison colle à la réalité d’une famille de la classe moyenne dans les années 1980.
Près de l’intersection des rues Marien et Sherbrooke, dans un coin très industriel de Montréal-Est, Marcel Cloutier a trouvé les lieux indiqués pour tourner des scènes de la série Appelle-moi si tu meurs et du film Crépuscule pour un tueur. « Le lave-auto, c’était un resto topless qui est devenu un bar de danseuses pour Demain des hommes », explique-t-il, soulignant au passage le plaisir qu’il a toujours eu à travailler avec le réalisateur Yves Christian Fournier (Tout est parfait).
Avant d’intégrer le milieu du cinéma, Marcel Cloutier était photographe. Il avait exposé souvent dans son Saguenay natal avant de migrer à Montréal. Avec l’idée de poursuivre dans cette voie. Or, un ami qui travaillait pour le cinéma lui a refilé un contrat. Le défi ? Trouver un endroit où creuser des tranchées pour faire semblant de se trouver pendant la guerre de 1914-1918.
« Il ne fallait pas qu’il y ait un seul poteau de téléphone à au moins 280 degrés. J’ai trouvé, pas très loin, à Le Gardeur. Ç’a été facile, alors ils m’ont demandé d’en faire d’autres. » Il a accepté et fait mille fois le tour du Québec ces quatre dernières décennies à photographier des maisons, des bouts de route, des montagnes et l’intérieur de maisons, modestes ou tout le contraire.
Avant l’arrivée de l’internet et des appareils numériques, il pouvait prendre 20 films de 36 poses avant de rentrer à Montréal pour faire développer et montrer sa récolte à des réalisateurs.
Il se souvient notamment de l’hiver où il a cherché un lieu pour une minisérie racontant l’histoire de Joseph-Armand Bombardier. Il lui fallait une concentration de maisons pour donner l’impression d’être en 1930. « J’avais fait 72 villages en janvier et février, au Lac-Saint-Jean et en Gaspésie. Jusqu’à ce qu’on choisisse une rue du Bic », raconte-t-il.
Ces virées en solo lui ont permis de constituer une imposante banque d’images… aujourd’hui disparues. Il y a cinq ans, il a en effet perdu toutes ses archives en raison d’un bogue informatique. Perdre ses archives a été un choc. Mais ça lui a aussi fait réaliser qu’il a le Québec au complet dans sa tête. « Je lis un scénario, explique-t-il, et je vois des endroits : tel coin de rue, tel appartement. »
Plus qu’un bon œil
Il faut avoir l’œil pour être directeur de location (l’autre terme utilisé pour désigner son métier). Il faut aussi de l’entregent. Ce que Marcel Cloutier aime le plus de son boulot, c’est le contact humain. Frapper aux portes, convaincre les gens de le laisser entrer et jaser en analysant furtivement si l’endroit peut convenir.
Quand la porte s’ouvre, j’ai regardé comme il faut dehors. Je ne sais pas quels genres de meubles il va y avoir ou si la maison est rénovée, mais les rideaux, les bords de fenêtre, ça me donne une idée.
Marcel Cloutier
« Dès que la porte s’ouvre, je regarde derrière la personne et je sais déjà si ça vaut la peine. Et si je pense que ça vaut la peine, je vais être vraiment fin », dit-il en souriant.
Tourner à Montréal est difficile, signale-t-il. Des rues ou des coins de la ville ont été tellement filmés que le voisinage n’en peut plus de voir des équipes bloquer des rues et garer de gros camions. Il regrette que personne n’aille tourner à La Malbaie ou au Saguenay, même si c’est magnifique. « Les décors existent partout, le problème, dit-il, c’est l’argent. » Déplacer des équipes coûte cher.
Désormais, Marcel Cloutier accepte les contrats qui lui plaisent. À son âge, il peut se le permettre. Il ne prend plus de photos, sauf pour le travail. Autrement, si un endroit où un paysage accroche son œil, il l’observe et en profite. « Je me garde la beauté. »