La majorité des entrepreneurs n'aspirent pas à devenir le prochain Alain Bouchard. Pourtant, il suffirait de leur parler davantage de croissance et de leur offrir un meilleur climat d'affaires pour qu'ils osent y rêver.

«Nous n'avons pas autant de croissance qu'on le devrait», constate Louis Jacques Filion, professeur titulaire de la Chaire d'entrepreneuriat Rogers-J.-A.-Bombardier à HEC Montréal.

Seulement 4 à 6 % des entreprises, ici comme ailleurs, connaissent une forte croissance, c'est-à-dire un taux supérieur à 20 % pendant au moins trois années consécutives. Ce sont les fameuses gazelles.

Le spécialiste est convaincu qu'on peut doubler cette proportion au cours de la prochaine décennie. Il suffit d'avoir les bonnes conditions en place, ce que M. Filion et une équipe de chercheurs ont tenté d'identifier dans la série Croissance des PME, publiée par le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal.

Il y a d'abord l'entrepreneur lui-même. Déterminé, il sait s'entourer d'une bonne équipe, a fait des études supérieures et désire voir son entreprise grandir. Une espèce plutôt rare, car 90 % des entrepreneurs ne sont pas motivés par la croissance de leur compagnie. «On les appelle des lifestyle entrepreneurs, dit Louis Jacques Filion. Ils visent surtout l'indépendance, la pérennité et une qualité de vie satisfaisante.»

Les leaders derrière les gazelles investissent beaucoup dans la recherche et le développement, embauchent du personnel qualifié et voient à long terme. Dans leur entreprise, la délégation des tâches est la norme et la formation continue des employés, une nécessité.

Quand les problèmes s'accumulent, ils n'hésitent pas non plus à faire appel aux différentes formes d'aide aux entreprises. «En un mot, ils s'organisent pour croître», résume M. Filion.

Démystifier la croissance

Bien entendu, la croissance ne convient pas à tous. «Il ne faut pas en faire une religion. Le boulanger du coin souhaite peut-être conserver une production artisanale et cela ne fait pas de lui un moins bon entrepreneur», remarque Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Néanmoins, il y a sans doute des entrepreneurs qui n'ont jamais réfléchi à la croissance ou qui n'osent pas le faire tout simplement parce qu'ils ne sont pas assez informés. «Il n'y a pas suffisamment de sensibilisation à la croissance dans les cours de création d'entreprises et au sein des services d'aide aux entreprises, qu'ils soient publics ou privés, affirme Louis Jacques Filion. Or, c'est souvent lorsque les gens élaborent leur projet d'entreprise qu'ils prennent la décision de la faire croître.»

Selon lui, une meilleure préparation initiale à la croissance pourrait conduire à un meilleur taux de survie des entreprises.

Le professeur Filion propose de mettre sur pied des programmes de soutien à la croissance à l'image de ceux du Danemark, de l'Écosse et de l'Allemagne.

Les entrepreneurs issus de différents secteurs s'y rencontrent en petits groupes pour échanger et s'encourager. Une façon de briser l'isolement des gens d'affaires. «Ce sont des formes d'accélérateur», dit M. Filion.

Pour un meilleur climat d'affaires

Ce n'est pas tout de motiver les entreprises à embrasser la croissance, estime Martine Hébert. Il faut aussi leur offrir un environnement d'affaires intéressant et à ce chapitre, «le Québec a beaucoup de croûtes à manger», déclare-t-elle.

Réglementation trop lourde, fiscalité étouffante, aide aux entreprises très importante, mais inefficace : «Les entreprises ne veulent pas d'autres programmes d'aide ou de subvention, elles veulent de l'air! s'exclame-t-elle. Je rencontre des entrepreneurs sur le terrain qui me racontent avoir agrandi, puis réduit la taille de leur entreprise parce qu'ils avaient l'impression de passer tout leur temps à remplir de la paperasse pour le gouvernement.»

La croissance en chiffres

De 4 à 6%

des entreprises vivent une forte croissance dans tous les pays, y compris le Canada et le Québec.

75%

des nouveaux emplois dans les pays industrialisés sont attribuables aux gazelles.

22%

des moyennes entreprises ont connu une forte croissance de plus de 50 % sur trois ans, contre 12 % parmi

les petites entreprises.

Consultez les documents du CPP : cpp.hec.ca/blog/serie-croissance-des-pme/