Les chefs montréalais choisissent de plus en plus des produits locaux. La pionnière de ce mouvement est Anne Desjardins, chef propriétaire de L'Eau à la bouche, à Sainte-Adèle. Dès l'ouverture de sa petite table dans les Laurentides, en 1980, cette autodidacte, géographe de formation, est partie à la recherche de produits locaux.

«Les produits d'ici n'étaient tout simplement pas disponibles, sauf des produits de Gaspésie, confie Anne Desjardins. Il n'y avait même pas de boulangerie locale. Nous n'avions aucune information sur la provenance des aliments. Les distributeurs ne nous aidaient pas. Le mot traçabilité n'existait pas encore.»

Grâce à l'engagement de chefs comme Anne Desjardins, les choses ont bougé et, depuis une dizaine d'années, les chefs peuvent se ravitailler localement sans problème.

En lançant le Foodlab de la Société des arts technologiques (SAT), les chefs Seth Gabrielse et Michelle Marek ont fait le choix de proposer des produits locaux.

«Nous vivons dans un marché mondial, donc il s'avère difficile de s'approvisionner, surtout en hiver, précise Seth Gabrielse. Pour nous, il s'agit d'un bon choix financier. Au-delà de l'effet de mode, nous y trouvons notre compte.» Mieux encore, pour le jeune chef, s'obliger à choisir local lui a permis de réinventer sa façon de faire : «La Société Orignal, fondée par Alex Cruz, propose des épices que nous n'avions jamais utilisées, comme les baies de genévrier.»

Des clients exigeants

En fait, la demande vient des clients, de plus en plus exigeants sur la provenance de ce qu'ils trouvent dans leur assiette.

Pour Marc-André Royal, du restaurant Le St-Urbain, dans Ahuntsic, c'est donc un choix économique. Et pour pallier le vide hivernal, l'équipe de la Bête à pain, la boulangerie ouverte récemment par le chef, prépare des conserves avec les fruits et les légumes de saison.

«Il faut se construire un réseau, ce qui demande du temps, mais nous évitons ainsi les intermédiaires, explique Marc-André Royal. Les chefs et les producteurs s'y trouvent gagnants.»

Marc-André Royal s'est d'ailleurs investi dans le projet des Fermes Lufa, immense serre installée sur le toit d'un immeuble de Saint-Laurent qui lui fournit herbes et légumes.

À l'autre bout de la ville, dans Hochelaga, Patrick Plouffe, chef propriétaire de Chez Bouffe, fait également le choix local, sans toutefois l'ériger en dogme.

«Il ne pousse pas de dattes à Laval et on ne trouve pas de pieuvre dans le Saint-Laurent, lance-t-il. Nous sommes obligés de passer par les distributeurs Canam ou Hector Larivée parce qu'ils ont des exclusivités avec certains producteurs québécois. Mais tout est question de calcul. Quand je vends un plat à 25 $, je dois évaluer mes coûts. Si la viande me coûte 5 $ ou 6 $, je dois mettre des poireaux de Californie en accompagnement. Souvent, la viande représente 95 % du prix de l'assiette.»

Il n'en demeure pas moins que Patrick Plouffe choisit le plus souvent possible des produits locaux, ce choix faisant partie de ses prévisions financières.