Sujet grandissant de plaintes des consommateurs, le dépassement de son forfait de données mobiles est un véritable fléau en 2016. Téléphones intelligents incontrôlables, applications gourmandes, forfaits trop chiches, fournisseurs accusés de manquer de transparence, les raisons sont nombreuses pour alimenter la grogne des clients. Tour de la question et solutions.

«Un problème de confiance»

Client de Fido depuis belle lurette, Martin Masse était habitué à gérer son forfait mensuel de six gigaoctets de données mobiles. Sauf que, depuis décembre dernier, rien ne va plus : il l'a dépassé trois fois, à son grand étonnement.

« Je ne comprenais plus rien, je suis devenu méfiant, alors j'ai fait quelques tests en téléchargeant une application qui suit ma consommation, raconte-t-il. J'ai fait quelques découvertes. Mais on s'entend que la majorité des gens ne se questionneront pas et n'iront pas voir plus loin. »

M. Masse, en effet, n'est pas tout à fait le consommateur lambda. Il est propriétaire des boutiques Zone Accro, spécialisées dans la vente et la réparation d'équipement informatique... et de téléphones intelligents. Que cet expert soit aux prises avec des dépassements de forfait de données mobiles illustre à quel point le contrôle en ce domaine est difficile.

Alerte en 2011

En fait, les trois experts que La Presse a joints avaient tous une anecdote de dépassement de forfait à raconter. « C'est dur de contrôler notre consommation de l'internet, et je parle d'expérience : j'ai dépassé mon forfait ce mois-ci », raconte Marc-Antoine Berthiaume, rédacteur à Mac Québec, une coopérative d'utilisateurs de produits Apple. Même aveu de Marc Ménard, pourvoyeur de services de dépannage informatique dans la région de Sainte-Adèle, qui est passé récemment à l'option résidentielle illimitée après avoir dépassé son forfait de 250 Go. « Le même principe s'applique au téléphone : ça peut arriver à n'importe qui. »

Le problème ne date pas d'hier. Dès 2011, le Commissaire aux plaintes relatives aux services de télécommunication (CPRST) a consacré trois pages de son rapport annuel à ce fléau. Deux constats s'imposaient : les consommateurs s'estiment mal informés et ne font pas confiance à leur fournisseur pour le calcul des données utilisées.

Cinq ans plus tard, « le nombre de plaintes sur ce sujet a augmenté de 125 % » pour s'établir à 679, indique Josée Thibault, commissaire adjointe au CPRST. D'entrée de jeu, elle précise qu'aucun fournisseur n'a été pris en flagrant délit de mauvaise estimation de consommation de données par son organisme. Chez Rogers, la porte-parole Mylène Dupéré précise qu'on a mis en place « plusieurs systèmes robustes » pour s'assurer de l'exactitude du calcul des données. Même assurance chez Bell, où l'on rappelle en outre que plusieurs « outils faciles à utiliser » sont à la disposition des clients pour gérer leur consommation.

Ce qui n'empêche pas nombre de consommateurs d'être méfiants, note Mme Thibault.

« Il y a un problème de confiance. Il n'y a pas de manière pour le consommateur de vérifier son utilisation de données de manière indépendante. Quand vous faites l'épicerie, vous pouvez vous assurer que votre livre de raisins pèse vraiment une livre. Quand votre fournisseur vous dit que vous avez utilisé 100 mégaoctets, vous devez le croire sur parole. »

Difficile d'être informé

Une solution possible, croit la commissaire adjointe, serait la mise en place d'une « tierce partie » dont le mandat serait de mesurer de façon indépendante l'utilisation des données. Elle reconnaît cependant que de nombreux obstacles techniques rendent cette solution difficile à appliquer.

L'Union des consommateurs a réalisé en 2013 un des sondages les plus complets sur cette question. On a constaté que 45 % des répondants trouvent « difficile » ou « impossible » de faire le suivi de leur utilisation de données. En outre, 35 % considèrent que la limite d'utilisation est atteinte généralement plus rapidement que prévu, et 32 % jugent l'information sur la facture peu claire.

« C'est là le coeur du problème : l'information disponible au consommateur est trompeuse, avec des fournisseurs qui vous font miroiter la possibilité d'envoyer des dizaines de milliers de courriels et d'écouter des heures de musique et de vidéo », estime Sophy Lambert-Racine, analyste en télécommunications à l'Union des consommateurs.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a été d'une aide précieuse à ce chapitre, puisque les frais supplémentaires d'utilisation des données sont plafonnés à 50 $ - 100 $ en itinérance à l'étranger - depuis décembre 2013. Le CRTC n'a cependant pas réussi à modifier les pratiques de tarification au Canada, une autre des raisons pour lesquelles le dépassement de limite de données est si courant, estime Mme Lambert-Racine.

« Les limites sont assez basses, les forfaits sont parmi les plus coûteux au monde, et on a peu de service illimité, résume-t-elle. On peut soupçonner qu'on a un problème de concurrence au Canada. »

Musique en folie

Le problème : un iPhone 6s qui brûle de façon inattendue près de 5 Go de données en deux jours.

Le responsable : Apple Music a utilisé les données cellulaires pour télécharger des milliers de chansons, une opération entamée sur le WiFi. Il faut désactiver cette option en allant dans Réglages > Musique et cliquer sur Utiliser les données cellulaires. Le hic, c'est qu'on se prive également du streaming.

Courriel fantôme

Le problème : un iPhone 4S qui consomme une centaine de mégaoctets de données cellulaires à l'heure. Sa propriétaire est pourtant la plupart du temps branchée sur le WiFi, chez elle ou au bureau.

Le responsable : il a fallu des semaines de recherche, une visite en vain au Apple Store et des appels chez le fournisseur pour trouver le coupable. Il s'agissait en fait d'un courriel bloqué dans le dossier Envoyés, contenant des photos, que l'iPhone tentait sans cesse de transmettre. Il a suffi d'éliminer ce courriel pour régler le problème.

Itinérance coûteuse

Le problème : en voyage à Las Vegas, et après avoir eu la précaution d'acheter un forfait de 100 Mo par jour de données itinérantes, le propriétaire d'un iPhone 5S reçoit un avis de Bell une heure après son atterrissage : il a déjà épuisé ses données quotidiennes.

Le responsable : il n'a jamais été découvert. Bell a remboursé le client pour cette journée-là mais n'a pu expliquer ce qui s'était passé. Ce problème ne s'est pas reproduit les jours suivants.

Quelques chiffres

3,5 %

Sur le total des plaintes soumises au CPRST en 2014-2015, pourcentage ayant trait aux « frais de données », soit 679 cas. Ce problème vient au huitième rang en ce qui concerne les plaintes.

5

Nombre de « violations confirmées » associées aux frais d'utilisation excédentaire en 2014-2015

85 $

Coût moyen en 2015 d'un forfait de « niveau 3 » au Canada, comprenant un haut volume d'appels et 1 Go de données. Le Canada arrive au troisième rang sur huit pays comparés par Wall Communications. Seuls les Américains et les Japonais paient plus cher. En Italie, par exemple, ce forfait coûte 54 $.

115 pétaoctets

Estimation, selon Cisco Systems, du volume de données internet mobiles consommées par les Canadiens en 2016, soit 115 millions de gigaoctets. La consommation devrait plus que doubler d'ici deux ans pour atteindre 247 Po.

Source : Union des consommateurs, CPRST, CRTC, Wall Communications, Cisco Systems