Après 37 ans à travailler dans la même usine, sur la Rive-Sud, Bruno vit ses derniers mois au boulot. En mai dernier, il a accepté de réduire ses heures de travail pendant un an, puis de prendre une retraite anticipée en mai 2013, en échange d'une indemnité de départ de 30 000$. Depuis, il échafaude une foule de projets: voyager, découvrir le Québec, vendre sa maison pour déménager dans sa résidence secondaire, où il planifie des rénovations majeures, etc.

Même s'il s'est constitué un bon coussin au cours des années, un doute subsiste dans son esprit: aura-t-il les moyens de vivre sa retraite confortablement ou devra-t-il renoncer à certains projets? «Je me demande parfois si j'ai accepté trop vite de partir», dit l'homme de 58 ans, divorcé, qui vit seul.

De plus, il se questionne sur les stratégies à employer pour profiter le plus possible de ses actifs. Doit-il se servir de ses REER pour rembourser l'hypothèque sur sa résidence secondaire, louée 9000$ par année? Doit-il modifier certains placements?

D'entrée de jeu, le planificateur financier Pierre Renaud, de RBC Dominion Valeurs mobilières, à qui nous avons soumis les interrogations de Bruno, se fait rassurant: «Même s'il n'avait pas de régime de retraite de son employeur, il a été assez discipliné pour se constituer un bon REER, souligne l'expert. Et comme il a été très prudent dans ses placements, son portefeuille n'a pas été trop malmené par les marchés, contrairement à plusieurs autres épargnants.»

Indemnité de départ

Bruno estime qu'il aura besoin de 30 000$ par année pour sa retraite. C'est ce montant qu'a utilisé Pierre Renaud pour vérifier si le bas de laine du futur retraité tiendra le coup, en tenant compte de ses projets pour les prochaines années.

D'abord, il devrait verser dans ses REER l'indemnité de départ de 30 000$ qu'il recevra le printemps prochain. «Au sens fiscal, une indemnité de départ est traitée comme une allocation de retraite, explique le planificateur financier. Ce montant est versé en reconnaissance de l'état de service au moment d'un départ à la retraite ou à l'égard de la perte d'un emploi.» Les règles permettent de verser au REER 2000$ par année de service avant 1996, plus 1500$ par année de service avant 1989, pour les travailleurs qui n'ont pas de régime de retraite de leur employeur. Selon cette règle, Bruno aurait pu transférer 45 500$ dans son REER, sans avoir besoin de droits de cotisation non utilisés.

Bruno s'inquiétait de n'avoir pas terminé le paiement de l'hypothèque sur sa résidence secondaire au moment de sa retraite. Mais il n'a pas à s'en faire. «Comme cette maison est louée, les intérêts sont déductibles d'impôt, alors il n'y a pas de mal à continuer de payer l'hypothèque pendant encore cinq ans», dit Pierre Renaud.

Au moment où il quittera le travail, en mai 2013, Bruno commencera à faire des retraits de ses REER - le REER immobilisé sera alors converti en fonds de revenu viager (FRV) et le REER en fonds enregistré de revenu de retraite (FERR). En 2014, il commencera à recevoir une rente mensuelle de 675$ de la Régie des rentes du Québec. En 2019, la pension de la sécurité de la vieillesse de 660$ par mois s'y ajoutera.

Les grands terrains et l'impôt

Bruno prévoit vendre sa résidence principale en 2017. Elle vaut aujourd'hui environ 500 000$ et est située sur un terrain de 2 hectares, ce qui explique qu'il doit s'attendre à payer des impôts sur une partie du gain en capital réalisé au moment de la vente. «Des règles particulières s'appliquent lors de la vente d'une résidence située sur un terrain dont la superficie dépasse un demi-hectare, c'est-à-dire 50 000 pieds carrés», observe M. Renaud. L'excédent, soit 1,5 hectare dans le cas de Bruno, n'est pas considéré comme faisant partie de la résidence principale, et ne donne donc pas droit à l'exonération d'impôt qui s'applique à la vente de la résidence principale. À moins que l'usage de la résidence nécessite un terrain plus grand - par exemple, si la maison est construite loin de la route et qu'un long chemin d'accès est nécessaire pour s'y rendre. Ce n'est pas le cas de Bruno. Il sera donc imposé sur la plus-value de la portion qui dépasse le demi-hectare, que Pierre Renaud évalue à 90 000$. Dans son cas, le gain en capital sera d'environ 80 000$, dont 50% (40 000$) sera imposable. Il doit donc s'attendre à verser 24 000$ au fisc l'année de cette transaction.

Comme Bruno compte faire des rénovations d'environ 300 000$ sur sa résidence secondaire avant de s'y installer, il lui restera 175 000$ du produit de la vente de sa maison. Une somme de 25 000$ pourra être déposée dans un CELI - auquel il n'aura pas cotisé pendant les cinq années précédentes (5000$ par année depuis 2013) - tandis que le reste ira dans des placements non enregistrés, pour être déposé graduellement dans le CELI à raison de 5000$ par année.

Avec ses ressources, et en maintenant un coût de vie de 30 000$ par année, Bruno n'a pas à s'en faire. «Il aura encore des actifs de 1 060 000$ à l'aube de son 90e anniversaire, signale le planificateur financier. Sa résidence principale vaudra 620 000$, il aura 140 000$ dans ses FERR-FRV et 300 000$ dans son CELI.» À tel point que M. Renaud lui suggère de ne pas trop se priver: il pourrait fixer son seuil de dépenses à 36 000$ sans problème. Assez pour se payer du bon temps.