L'inscription en Bourse de LinkedIn (LNKD) provoqué cette semaine une réaction digne de la bulle des technos à la fin des années 90. Le jour même, les investisseurs ont fait doubler le titre, accordant une valeur boursière de 8,9 milliards US au site internet de réseautage d'affaires. Pas mal pour une société qui ne fera probablement pas un sou de profit cette année!Les investisseurs s'étaient passé le mot. Ils ont réservé un accueil triomphal au site de réseautage d'affaires LinkedIn, le premier poids lourd de l'univers des médiaux sociaux à faire le saut en Bourse.

L'enthousiasme était à son comble. Le prix d'émission avait d'ailleurs été rehaussé au début de la semaine, si bien que les 7,8 millions d'actions ont été émises à 45 $US, largement au-dessus de la fourchette prévue (30-32$US). Ainsi, l'émission de LinkedIn constitue la plus importante inscription en Bourse d'une société Internet depuis l'arrivée du moteur de recherche Google.

Jeudi, le jour de son baptême boursier, l'action de LinkedIn a plus que doublé pour clôturer à 94,25 $US. Cela confère une valeur boursière à 8,9 milliards US à LinkedIn, qui n'existait même pas il y a 10 ans.

En fait, LinkedIn a vu le jour en 2002 dans le salon du co-fondateur Reid Hoffman, un diplômé d'Oxford en philosophie qui vient d'entrer dans le club des milliardaires instantanés.

Au départ, le site renfermait quelques centaines de ses contacts personnels. Il regroupe aujourd'hui le CV de 100 millions de professionnels à travers plus de 200 pays... et accueille un nouveau membre chaque seconde.

La nouvelle vague

La table est mise pour les prochains médias sociaux qui cuisinent leur arrivée en Bourse.

Leur valeur «théorique» atteint déjà des prix stratosphériques sur les sites comme SharesPost et SecondMarket. Ces sites de transactions officieux permettent à des employés de sociétés privées de passer à la caisse en vendant leurs actions à des investisseurs qui sont prêts à plonger sans information financière.

Ainsi, le pionnier des médias sociaux Facebook vaudrait 79 milliards US. La société qui a reçu un financement de 1,5 milliard US en janvier, planifierait son entrée en Bourse pour le printemps 2012.

De son côté, Groupon discute déjà avec ses banquiers de son premier appel public à l'épargne. Le site web d'achats groupés permet à ses membres de profiter d'aubaines quotidiennes envoyées par courriel. Mais son titre n'en sera pas une, car Groupon vaudrait déjà 14,8 milliards US.

Le site de microblogues Twitter s'apprête aussi à faire son entrée en Bourse. Il aurait une valeur théorique de 7,2 milliards US qui repose en bonne partie sur le potentiel de croissance du nombre d'abonnés et de tweets, ces messages rédigés en moins de 140 caractères.

Présentement, Twitter achemine 155 millions de tweets par jour, trois fois plus que l'an dernier à pareille date. Le nombre d'ouvertures de compte a gonflé de 52% de décembre 2010 à mars 2011. Et le site compte désormais 200 millions d'abonnés, selon la firme de recherche neXtup.

Mais le modèle d'affaires reste à définir... comme pour la plupart des médias sociaux qui fondent beaucoup d'espoir sur la vente de publicité.

Aux États-Unis, le marché de la publicité dans les médias sociaux devrait grimper de 2 milliards en 2010 à 4,7 milliards en 2013, soit un taux de croissance de 33%. À travers le monde, les revenus pourraient atteindre 7,2 milliards en 2013, dont presque la moitié seraient siphonnés par Facebook, toujours selon neXtup Research.

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Pour l'instant, plusieurs des médias sociaux ne font pratiquement pas de profits.

Exubérance irrationnelle

L'année dernière, LinkedIn a dégagé des bénéfices de 15,4 millions US, soit 0,07$ par action. À 94,25 $US, l'action de LinkedIn se négocie donc à 1346 fois son bénéfice par action.

Évidemment, le ratio ne veut pas dire grand-chose, puisque la compagnie fait très peu de profits. Et elle pourrait retomber dans le rouge en 2011.

Comme à l'époque de la bulle techno, les investisseurs se replient donc sur le multiple cours/ventes pour évaluer l'entreprise. LinkedIn qui a engrangé 243 millions de revenus l'an dernier, se négocie à 14 fois ses revenus.

«C'est malsain! C'est complètement fou», s'exclame Brent Barrie, directeur général de la société de gestion d'actifs Seamark.

Pour bien des gestionnaires professionnels, c'est le retour de «l'exubérance irrationnelle», expression consacrée de l'ancien patron de la Réserve Fédérale américaine, Alan Greenspan, à la fin des années 90.

Avec des évaluations aussi folles, les médias sociaux font passer les médias traditionnels pour de vraies aubaines, dit M. Barrie.

Par exemple, l'action du géant Time Warner qui se concentre dans les «vieux» médias se négocie à 1,5 fois ses ventes. Même des sociétés de technos établies comme Microsoft et Apple se négocient autour de 3 fois leurs ventes. Et le titre Google s'échange à 5,5 fois ses ventes.

Évidemment, les médias sociaux ont une croissance ahurissante, comme eBay ou Amazon à leurs débuts. Mais la croissance exponentielle ne dure pas éternellement.

«Pour bien des sociétés comme LinkedIn ou Groupon, le modèle d'affaires n'a pas encore fait ses preuves. Quand l'entreprise sera mature, on ne sait pas à quoi ressembleront ses marges de rentabilité. On ne sait pas combien de «cash-flow» est dégagera. En réalité, je crois que personne ne le sait, pas même les dirigeants de ces entreprises», dit M. Barrie.

Avant de succomber aux médias sociaux, les investisseurs devraient se poser les questions suivantes :

>Combien d'années la société peut-elle croître à cette cadence avant d'arriver à maturité?

>Lorsqu'elle sera à maturité, combien de profits fera-t-elle?

>Et d'ici là, quels sont les risques que des concurrents tuent la société dans l'oeuf? Par exemple, on compte 250 sites de microblogues comme Twitter. Et on retrouve au moins 500 sites d'achats groupés qui offrent des aubaines du jour comme Groupon, surchargeant de courriels les consommateurs qui pourraient finir par s'en lasser.

La techno bon marché

Malgré l'effervescence entourant l'émission de LinkedIn, la Bourse est très loin d'une deuxième bulle des technos.

«Je ne suis pas si inquiet, car beaucoup de sociétés de technologie se négocient en dessous de 20 fois leurs bénéfices, ce qui aurait été impensable durant la bulle techno», dit Jean-Paul Giacometti, gestionnaire de portefeuille pour la firme de gestion privée Claret.

L'action de Microsoft qui se négociait entre 30 et 40 fois ses profits en 2000, n'est plus qu'à 9 fois les bénéfices. Un bon choix pour les investisseurs qui cherchent un titre abordable dans l'univers de la technologie, considère M. Giacometti. «L'entreprise n'a plus la même croissance qu'avant, mais quand on paie 9 fois les profits, c'est un bon rendement, point final», dit le gestionnaire.

Le secteur de la technologie pourrait aussi connaître une renaissance avec la transition vers l'informatique en nuages, qui permet aux sociétés de stocker des données à distance pour y accéder de n'importe où.

«C'est une innovation qui va transformer le marché actuel et qui va créer de belles occasions pour de nouvelles entreprises qui fournissent des serveurs et qui permettent de stocker les données», estime M. Barrie.

Il cite notamment à Akamai Technologies, une société américaine qui dispose d'une technologie permettant d'améliorer la transmission de contenu vidéo à travers les réseaux. L'action se négocie à 23 fois ses bénéfices prévus. À ce niveau, on ne peut pas parler de bulle.

La bulle est ailleurs

De toute façon, même s'il y avait une bulle dans les médias sociaux, cela aurait peu d'impact car le poids de la technologie à la Bourse est devenu pratiquement négligeable, surtout au Canada.

Lors de la technobulle, le titre de Nortel Networks formait, à lui seul, plus du tiers de la Bourse canadienne. Aujourd'hui, l'ensemble du secteur de la technologie représente seulement 2% du S&P/TSX composé, essentiellement grâce à Research in Motion, le concepteur du BlackBerry, qui forme 1,3% de l'indice.

Désormais, les ressources naturelles forment la moitié de la Bourse canadienne, soit 27% pour le secteur de l'énergie et 22% pour les matériaux de base. Pour les investisseurs, un recul sévère du prix des matières premières serait donc beaucoup plus douloureux qu'une chute des prix des médias sociaux.