Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Pierre Lapointe, de Brockhouse Cooper.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

La Banque populaire de Chine a temporairement déprimé les marchés en annonçant une hausse de 25 points de base de ses taux de dépôts et de prêts. Il s'agissait de la première hausse depuis 2008. Ceci dit, les investisseurs ont rapidement réalisé que cette décision n'aurait qu'un impact minime sur la croissance de l'économie chinoise. Après tout, la politique monétaire de la Chine expansionniste devenait de plus en plus inappropriée compte tenu de la vigueur de la reprise du pays.

Pour nous, l'événement significatif est plutôt l'excellente saison des bénéfices, au sud de la frontière, qui a débuté officiellement cette semaine. Plus du quart des entreprises de l'indice S&P500 de la Bourse américaine ont maintenant rapporté leurs bénéfices. Non moins de 80% de ces entreprises ont enregistré des profits qui dépassaient les attentes. En moyenne depuis 1994, la proportion des entreprises qui annoncent des profits plus forts que prévu est de 62%.

Quel indicateur surveillez-vous le plus attentivement en ce moment?

Après avoir été ébranlés à la suite de la dernière récession, les dirigeants d'entreprise ont pris l'habitude d'être prudents lorsqu'on leur demande s'ils sont confiants pour les trimestres à venir. Mais pour nous, ce qu'ils font est encore plus important que ce qu'ils disent. À cet égard, nous constatons que le nombre d'avertissements de profits plus faibles que prévu (profit warnings en anglais) est tombé à son plus bas en au moins 10 ans. Si ces dirigeants avaient le moindre doute quant à leurs résultats financiers futurs, ils n'hésiteraient pas à en avertir le marché. C'est tout le contraire qui se produit actuellement. Cela augure bien pour les annonces de bénéfices à venir.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Nous croyons que la reprise économique mondiale, plus spécialement en Asie et dans les pays émergents en général, ne fait que débuter. La meilleure catégorie d'actif pour en profiter demeure les actions. Nous répartirions notre portefeuille de la manière suivante: 70% en actions, 25% en obligations et 5% en liquidités. Au niveau des secteurs, notre préférence va aux secteurs cycliques (énergie et matériaux en particulier) qui font bien dans les phases de reprise. Nous aimons aussi les sociétés financières dans les pays qui présentent des systèmes financiers sains comme le Canada et l'Australie.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Nous exprimons des réserves par rapport à l'or qui est en hausse de près de 25% depuis de le début de l'année. La demande fondamentale pour l'or n'a pas augmenté au cours des dernières années. La demande provenant de la fabrication de bijoux en or est en baisse depuis plus de 10 ans, même en incluant l'appétit grandissant de l'Inde et la Chine pour le métal jaune. Au cours des dernières années, la demande aurifère a été tirée à la hausse par la demande financière, en particulier des fonds négociés en bourse (FNB). Nous craignons qu'un jour cette demande financière ne se tarisse, ce qui enlèverait un soutien important au prix de l'or. L'investisseur qui désire garder une exposition aux métaux précieux serait mieux servi avec l'argent qui surperforme l'or en période de reprise économique mondiale. L'argent dépend davantage du cycle économique, car il entre dans la fabrication de produits dans plusieurs secteurs (photographie, électronique, médical, etc.) tandis que l'or est plutôt une valeur refuge.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Au sortir d'une récession, les investisseurs pèchent souvent par excès de prudence. Les marchés sous-estiment la santé financière des grandes entreprises. Au sud de la frontière, les multinationales bénéficient de la forte croissance des pays émergents et de la faiblesse du dollar américain. C'est pour cette raison que la bourse américaine performe beaucoup mieux que ce que pourrait suggérer la reprise américaine qui est plutôt anémique. Au Canada, la robustesse de notre économie jumelée avec l'appétit grandissant pour les ressources naturelles viendra soutenir les profits des entreprises.

À titre de stratège Macro Global, Pierre Lapointe est responsable du département de recherche sur la stratégie mondiale chez Brockhouse Cooper. Fondée en 1968, le courtier institutionnel montréalais se spécialise dans les actions internationales et transige dans plus de 50 pays, pour des clients des quatre coins du monde.