À la demande du Nouveau Parti démocratique (NPD), des acteurs de l’industrie alimentaire étaient de retour à Ottawa lundi pour répondre aux questions des élus sur le prix de l’épicerie. Les premières séances de cet exercice n’avaient pas permis d’apprendre grand-chose, le printemps dernier. Mais cette fois, ô surprise, Walmart et Loblaw ont été montrés du doigt pour leur attitude rebelle qui déplaît à leurs concurrents et nuit, ultimement, aux consommateurs.

Les deux géants sont en train de faire dérailler un projet qui ferait baisser le prix des aliments, soit le fameux code de conduite pour assainir les relations entre les supermarchés et leurs fournisseurs.

On en parle depuis trois ans, et tout le monde au pays semble d’accord sur le texte, sauf Walmart et Loblaw, a dévoilé et déploré Michael Graydon, DG de l’association Food, Health & Consumer Products of Canada (FHCP), qui représente les grands manufacturiers. « Le code est en danger, il faut une intervention du gouvernement. C’est la situation qui prévaut, malheureusement. »

Michael Graydon a aussi révélé qu’à minuit moins cinq, Walmart et Loblaw (Maxi et Provigo) avaient demandé des changements qui neutraliseraient l’effet du code. À son avis, si ces deux détaillants qui représentent 40 % du marché n’embarquent pas, les autres ne voudront pas suivre, car la non-adhésion serait perçue comme un avantage concurrentiel.

Sans nommer les deux entreprises récalcitrantes, le PDG de Sobeys (IGA), Michael Medline, avait aussi exhorté Ottawa un peu plus tôt à tout mettre en œuvre pour que le code soit adopté après avoir exprimé « de sérieux doutes quant à son entrée en vigueur » étant donné « l’opposition récente de certains détaillants ».

Les deux dirigeants, à l’instar d’autres invités, dont le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), ont assuré aux élus que le code ferait diminuer le prix de détail des aliments, comme ça s’est vu dans les autres pays où de tels codes ont été implantés. Ils ont cité l’Australie et le Royaume-Unis en exemple. Ils s’étonnent donc que Lobaw prétende qu’au contraire, le code fera bondir la facture des consommateurs.

Si les présidents de Loblaw et de Walmart reviennent eux aussi à Ottawa, il serait intéressant de les questionner sur leur raisonnement à ce sujet.

Mais comment un code de conduite contribue-t-il à de meilleurs prix sur les tablettes, au juste ?

En gros, il permet de « sortir des coûts du système ». La fin des frais surprises et aléatoires facturés par les détaillants aux fournisseurs – pour une palette abîmée ou un camion en retard, pour financer un programme de fidélité ou des rénovations de magasins – améliorerait leurs revenus et leur assurerait une meilleure prévisibilité. En se retrouvant avec une marge de profit accrue, ces usines qui produisent les aliments pourraient en faire bénéficier les consommateurs.

Ex-grand patron de Canadian Tire, Michael Medline a rappelé à quel point il avait été étonné de voir, en arrivant dans le monde de l’alimentation, le faible niveau de respect entre les différents maillons de la chaîne, des agriculteurs jusqu’aux supermarchés. « Si tout le monde manifestait du respect dans cette industrie, ça irait beaucoup mieux », a-t-il pris la peine de déclarer.

« Sans code, il n’y a pas de négociation, pas de discussions, pas de préavis. Parfois, c’est même rétroactif, a admis le dirigeant. Avec un code, on ne peut pas tirer parti de notre pouvoir, de notre taille. Certaines choses ne sont pas justes et ne devraient pas se passer. »

En ce qui concerne plus directement le prix des aliments, Michael Medline a assuré que Sobeys « a pris au sérieux » l’appel du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, qui avait demandé en septembre des plans de match pour stabiliser les prix. Sobeys jure avoir travaillé « avec diligence » sur son plan, dont on ne connaît à peu près rien pour l’instant.

Une première étape a été mise en œuvre au début de novembre sans qu’on le sache afin d’« apporter un soulagement significatif aux consommateurs ». Cette mesure, c’est l’annulation prévue de 1700 hausses de prix, soit 10 % de tous les produits « emballés », une vaste catégorie qui exclut les fruits, les légumes et la viande. L’initiative qui heurtera la marge de Sobeys, selon son PDG, semble très timide pour offrir un « soulagement significatif », comme je l’ai écrit il y a quelques jours⁠1.

Une autre mesure faisant partie du plan confidentiel soumis à Ottawa sera annoncée par Sobeys au début de 2024. Michael Medline a expliqué qu’il ne pouvait en parler publiquement dès maintenant sans contrevenir à la Loi sur la concurrence. J’ai hâte de voir de quoi il s’agit.

Car deux mois après le dépôt d’une liste de promesses rédigées par les supermarchés pour stabiliser les prix, il faut dire qu’on n’a rien vu d’évident, d’innovant ou de surprenant, quoi qu’en dise le ministre Champagne. D’ailleurs, le PDG de Metro, Eric La Flèche, a lui-même déclaré à Pierre-Olivier Zappa, de TVA et LCN, que la réunion à Ottawa n’avait pas eu d’impact sur les prix⁠2. « Depuis la rencontre, les choses n’ont pas changé. »

Il fallait mal comprendre la complexité de la chaîne d’approvisionnement, la bataille féroce que se livrent les détaillants et la pression des actionnaires pour croire qu’il était possible de provoquer des changements de prix majeurs au bénéfice des clients.

1. Lisez la chronique « La stratégie anti-inflation de Bouclair » 2. Voyez un extrait de l’entrevue d’Eric La Flèche