L’administration Biden a proposé vendredi de nouvelles règles visant à transférer aux États-Unis une plus grande partie de la production de batteries pour véhicules électriques et des matériaux qui les alimentent, afin d’y développer une industrie stratégique actuellement dominée par la Chine.

Ces règles visent à limiter le rôle que les entreprises chinoises peuvent jouer dans la fourniture de matériaux pour les véhicules électriques qui bénéficient de crédits d’impôt fédéraux. Elles décourageront également les entreprises qui cherchent à obtenir des fonds fédéraux pour construire des usines de batteries aux États-Unis de s’approvisionner en matériaux auprès de la Chine ou de la Russie.

Ces règles pourraient susciter la consternation des constructeurs automobiles, qui continuent de dépendre largement de la Chine pour les matériaux et les composants des véhicules électriques. Ils doivent également composer avec une forte pression sur les coûts lorsqu’ils tentent de modifier leurs usines pour construire des voitures électriques ; la Chine offre certaines des technologies de batteries les plus avancées et les moins chères au monde.

L’administration Biden tente d’utiliser des milliards de dollars de nouveaux fonds fédéraux pour changer cette dynamique et créer une chaîne d’approvisionnement américaine pour les véhicules électriques, en utilisant à la fois la carotte et le bâton.

Des questions en suspens

La loi sur le climat que le président Joe Biden a signée en 2022 prévoit des crédits d’impôt pouvant atteindre 7500 $ US pour les consommateurs qui achètent des véhicules électriques construits aux États-Unis avec des matériaux essentiellement locaux. La loi prévoit également une interdiction générale des produits chinois. Les législateurs interdisent en outre que les constructeurs de véhicules bénéficiant de ces avantages fiscaux s’approvisionnent en certains matériaux auprès d’entreprises chinoises, russes, nord-coréennes ou iraniennes.

La loi a toutefois laissé plusieurs questions en suspens, notamment ce qu’est une entreprise chinoise ou russe. L’administration Biden vient de trancher que ces définitions comprennent toute entité constituée ou ayant son siège en Chine ou en Russie, ainsi que toute entreprise dont 25 % des sièges au conseil d’administration ou des participations étaient détenus par des gouvernements chinois ou russe.

Les entreprises chinoises qui s’implantent dans d’autres pays que la Chine – comme Gotion, qui prévoit construire une usine de batteries dans le Michigan – semblent pouvoir bénéficier de ces règles, à condition que le gouvernement chinois ne soit pas un actionnaire important.

La loi impose également aux fabricants de batteries qui concluent des contrats ou des accords de licence avec des entreprises chinoises de s’assurer qu’ils conservent certains droits sur leurs projets. Cette disposition vise à s’assurer qu’une entreprise chinoise ne contrôle pas de fait un tel projet.

Certains législateurs conservateurs avaient contesté le projet de Ford Motor Co. de prendre sous licence la technologie du géant chinois des batteries connu sous le nom de CATL pour une usine à Marshall, dans le Michigan, estimant qu’un tel partenariat ne devrait pas être admissible aux crédits d’impôt fédéraux.

Louer ou acheter

Les règles entreront en vigueur en 2024 pour les composants de batteries et en 2025 pour les minéraux essentiels tels que le lithium, le cobalt et le nickel. Elles seront soumises aux commentaires du public pendant plusieurs semaines et pourraient être modifiées en fonction de l’avis de l’industrie.

PHOTO BRENDAN GEORGE KO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Mine de lithium à La Corne, dans le nord du Québec

Ces règles pourraient avoir un effet profond sur le marché américain des véhicules électriques, qui connaît une croissance rapide ; les véhicules à batterie représentaient environ 8 % des nouvelles voitures vendues au troisième trimestre. Les fabricants de voitures et de batteries ont affirmé vendredi matin qu’ils examinaient les 62 pages de règles publiées par l’administration et qu’il faudrait du temps pour déterminer combien de modèles pourraient bénéficier de crédits d’impôt.

John Bozzella, PDG de l’Alliance for Automotive Innovation, a écrit dans un billet de blogue vendredi matin que les règles avaient réalisé « un équilibre pragmatique », notamment en exemptant les matériaux tout juste présents à l’état de traces. Si l’administration avait interdit toutes les pièces chinoises mineures de la chaîne d’approvisionnement, aucun modèle de voiture n’aurait pu bénéficier de crédits d’impôt l’année prochaine, a-t-il souligné.

De nombreuses voitures ont déjà été exclues des crédits d’achat en raison d’autres règles, comme l’obligation d’assembler les véhicules en Amérique du Nord. À peine une vingtaine de véhicules sont actuellement admissibles au programme, sur plus de 100 véhicules électriques vendus aux États-Unis.

Les règles ont également soulevé de nouvelles questions quant à savoir si des exigences plus strictes pour les chaînes d’approvisionnement pourraient renforcer la tendance chez de plus en plus d’acheteurs à louer, plutôt qu’acheter, des véhicules.

L’interdiction de s’approvisionner en Chine ne s’applique qu’aux véhicules vendus, et non aux véhicules de location. Les consommateurs peuvent bénéficier de crédits d’impôt pour les véhicules électriques qu’ils louent auprès des concessionnaires automobiles, ce qui a entraîné un boom de la location de véhicules électriques.

Jack Fitzgerald, président de Fitzgerald Auto Malls, qui exploite des concessions en Floride, dans le Maryland et en Pennsylvanie, dit avoir constaté une augmentation du nombre de clients louant des véhicules électriques. Mais il ajoute que les inquiétudes quant à l’autonomie des véhicules électriques et la disponibilité des chargeurs constituent un plus grand frein à la vente des véhicules électriques que leur prix.

« C’est le principal problème », affirme M. Fitzgerald.

Les lobbyistes de l’industrie automobile préviennent que des règles extrêmement strictes pourraient freiner les ventes de véhicules électriques, et ils exhortent l’administration à conclure davantage d’accords commerciaux pour assurer l’approvisionnement en minerais rares pour les batteries. Mais Paul Jacobson, directeur financier de General Motors, estime que l’entreprise a structuré ses activités dans le domaine des véhicules électriques de telle manière qu’il ne doute pas de réussir, quelles que soient les règles fédérales.

« Nous n’ancrons pas nos activités en disant que ceci doit se produire » sur le plan réglementaire, a affirmé M. Jacobson à la presse jeudi. Si la réglementation change, a-t-il ajouté, « ce n’est pas un casse-tête pour nous ».

La domination de la Chine

Au cours de l’année écoulée, les entreprises ont investi 213 milliards de dollars dans la fabrication et le déploiement d’énergies et de véhicules propres, dans l’électrification des bâtiments et dans les technologies de gestion du carbone aux États-Unis, selon le suivi effectué par le Rhodium Group et le Center for Energy and Environmental Policy Research du Massachusetts Institute of Technology. Cela représente une augmentation de 37 % par rapport à l’année précédente.

Cependant, l’industrie mondiale des véhicules électriques reste fortement ancrée en Chine, qui est le plus grand producteur et exportateur de véhicules électriques au monde. La Chine produit environ les deux tiers des cellules de batteries au niveau mondial et raffine la plupart des minéraux essentiels à l’alimentation d’un véhicule électrique.

La domination de la Chine sur les chaînes d’approvisionnement en minerais essentiels est telle qu’on craint que Pékin ne puisse barrer l’accès des entreprises américaines aux matériaux essentiels non seulement pour la construction de voitures, mais aussi pour la construction de moteurs d’avion et la fabrication de munitions.

D’autres sont préoccupés par les mauvaises conditions de travail, le recours au travail des enfants et le bilan environnemental peu reluisant des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques qui passent par des pays comme le Congo et l’Indonésie.

L’un des défis pour les constructeurs automobiles sera de développer des systèmes permettant de suivre tous les composants de leur batterie tout au long d’une chaîne d’approvisionnement longue et souvent opaque.

Todd Malan, directeur des affaires extérieures de Talon Metals, qui souhaite obtenir l’autorisation d’exploiter une mine de nickel dans le Minnesota, estime que des règles strictes pourraient contribuer à prévenir les systèmes de « blanchiment de minerais » dans lesquels les minerais chinois ou russes seraient acheminés par l’intermédiaire d’installations situées dans des pays plus accueillants.

Les règles devraient être appliquées au moyen d’audits et par la récupération des subventions si les entreprises ne les respectent pas, et les entreprises devraient également adopter des systèmes de « connaissance des fournisseurs » permettant de suivre les intrants depuis les mines jusqu’aux programmes de recyclage, a déclaré M. Malan.

Dans son annonce, le département du Trésor a précisé que les véhicules déclarés de manière incorrecte seraient soustraits de l’admissibilité d’un constructeur automobile aux crédits d’impôt et que les constructeurs automobiles qui commettraient des fraudes ou ignoreraient intentionnellement les règles pourraient être déclarés inéligibles aux crédits d’impôt à l’avenir.

La version originale de ce texte a d’abord été publiée dans le New York Times.

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