C’est difficile à croire, notre intuition, les sondages et nos proches nous disent le contraire. N’empêche, quand on regarde les chiffres officiels, les salaires ont crû plus rapidement que l’inflation ces dernières années. Eh oui, notre pouvoir d’achat est supérieur à ce qu’il était… avant la pandémie.

Au Québec, quelqu’un qui gagnait 1000 $ par semaine en février 2020, juste avant le début des mesures sanitaires, reçoit désormais 1182 $ pour ses services. Un bond de 18,2 %.

Pendant la même période, l’indice des prix à la consommation a augmenté de « seulement » 15,7 %.

Évidemment, il s’agit d’une moyenne. C’est donc dire qu’il y a des perdants et des gagnants. Mais notre situation financière collective s’est améliorée malgré l’inflation robuste. Je sais, c’est difficile à croire, surtout que les gagnants en question témoignent peu souvent de leur réalité aux nouvelles.

Comme moi, j’imagine que vous êtes perplexe et que vous aimeriez bien savoir qui a bien pu bénéficier d’augmentations de salaire nettement supérieures à l’inflation… à part les députés qui siègent à Québec. J’y reviendrai.

Il faut aussi dire que 2020, c’était déjà un peu loin. Le choix de cette période de référence pour faire des comparaisons pourrait créer une distorsion dans les résultats.

Se pourrait-il que l’année 2023 soit différente des deux précédentes ? Après tout, on n’a jamais autant parlé de stress financier, d’endettement, de changements d’habitudes de consommation. J’ai posé la question à Patrice Gauthier, directeur des statistiques du travail et de la rémunération à l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Conclusion de son analyse : le salaire hebdomadaire et l’indice des prix à la consommation ont tous deux augmenté depuis janvier de 4,7 %. Les courbes sont identiques ! C’est donc le statu quo en matière de pouvoir d’achat collectif.

En plus, ces analyses ne tiennent pas compte d’autres facteurs ayant eu un impact positif sur le compte de banque des Québécois. Pensons aux deux chèques versés par le gouvernement Legault, au soutien aux 70 ans et plus à faible revenu et à la baisse du taux d’imposition en vigueur depuis le 1er juillet.

Je vais finir par croire la publicité qui disait : « Vous êtes plus riches que vous ne le croyez. »

Ce décalage entre les chiffres et la perception que nous avons de la réalité est assez fascinant. J’en ai discuté avec l’économiste et professeur émérite de sciences économiques à l’UQAM, Pierre Fortin, qui a signé un texte dans L’actualité récemment sur notre pouvoir d’achat.

« Instinctivement, moi comme les autres, on a le réflexe de regarder un seul aspect des choses », m’a-t-il dit, alors qu’il faudrait toujours se demander s’il se passe « autre chose en même temps qui pourrait changer la perspective ».

Notre attention est actuellement tournée vers les hausses de prix à l’épicerie. Quand on constate que le prix du beurre a bondi de 2 $, on oublie que nos salaires ont (sans doute) crû eux aussi. Et peut-être plus vite que le prix du beurre.

« On se dit que notre augmentation de salaire était méritée, mais que la hausse des prix vient nous la voler », résume le professeur Fortin.

L’humain est ainsi fait qu’il donne toujours plus d’importance aux mauvaises nouvelles qu’aux bonnes. L’indexation des rentes versées par Ottawa et Québec, par exemple, passe souvent inaperçue. Combien de retraités croient à tort que leurs revenus n’ont pas bougé depuis des années ?

Tous ceux dont les paiements hypothécaires ont doublé ne peuvent assurément pas se consoler en regardant leur talon de paie. Et bon nombre de ménages peinent désormais à joindre les deux bouts. Cette réalité existe. Mais il est faux de croire que « les Québécois » en arrachent davantage financièrement à cause de l’inflation. D’ailleurs, l’industrie du voyage ne manque pas encore de clients.

Revenons aux salaires, question d’assouvir notre curiosité.

Surprise, les données démontrent que seulement 4 secteurs d’activités sur 18 affichent des augmentations du salaire horaire (entre 16 % et 23 %) supérieures à l’inflation depuis le début de la pandémie. Ceux-ci regroupent les comptables, les architectes, les concierges, les ingénieurs, les commis dans les magasins, les agents de sécurité, les techniciens de l’industrie du cinéma, entre autres.

Alors comment se fait-il que la moyenne soit si élevée ? Le nombre d’emplois dans les secteurs les plus payants a bondi, tandis que les Québécois ont abandonné les emplois peu lucratifs dans l’hébergement et la restauration. En seulement trois ans, le nombre de professionnels offrant des services scientifiques et techniques a bondi de 23 % et dans le secteur de la construction, la hausse est de 15 %, par exemple.

Autrement dit, le portrait global de l’emploi a changé, au bénéfice des travailleurs et de notre pouvoir d’achat collectif.

Les bonnes nouvelles financières étant plutôt rares ces temps-ci, en voilà une à retenir, ne serait-ce que pour garder le moral.