Tous les intervenants à Jonquière brûlaient d’envie d’en dire davantage. De dire qu’en plus de l’aluminerie AP60 de 1,4 milliard – la nouvelle du jour – se dessine un autre projet de près de 1 milliard, cette fois avec la technologie révolutionnaire Elysis.

La construction d’une aluminerie AP60, officialisée lundi, est certes une bonne nouvelle. Elle consolide certains emplois et réduit les gaz à effet de serre (GES) d’environ la moitié par rapport à la vieille aluminerie d’Arvida, qu’elle remplacera à terme.

Sauf que l’aluminerie AP60, de 160 000 tonnes d’aluminium par année, dégagera tout de même beaucoup de GES1. Ce sera même près de 1,7 tonne de GES pour chaque tonne d’aluminium produite. On est loin de la carboneutralité pour cette usine qui survivra bien après 2050, année cible pour la carboneutralité mondiale.

Tous les yeux – et les efforts du gouvernement Legault – sont donc tournés vers Elysis, dont le procédé n’émet aucun GES, contrairement à tous les autres sur le marché.

D’ici septembre ?

Or, selon mes informations, Rio Tinto devrait annoncer avant la fin de l’été, possiblement en septembre, la construction d’une usine pilote avec cette technologie, que réclament les constructeurs automobiles, entre autres.

Le projet, qui avoisinerait les 50 000 tonnes d’aluminium, vise à tester la production avec Elysis au niveau industriel. Actuellement, la coentreprise formée par Rio Tinto et Alcoa parvient à produire sans aucun GES, mais à très petite échelle dans un environnement contrôlé.

L’usine pilote Elysis, de près de 1 milliard, attend une confirmation du conseil d’administration de Rio Tinto, selon mes renseignements. Idéalement, les deux projets auraient été annoncés en même temps, mais la multinationale voulait démarrer rapidement le projet AP60 afin de minimiser la construction durant les mois rigoureux de l’hiver saguenéen.

L’usine pilote d’Elysis serait vraisemblablement construite à Alma, en extension de l’aluminerie actuelle, dont la capacité est de 466 000 tonnes. L’usine d’Alma accueille déjà le laboratoire qui produit de l’aluminium Elysis à titre expérimental.

Lundi, quatre politiciens, dont le premier ministre François Legault, ont parlé de « discussions très avancées » pour Elysis. Le directeur des opérations Atlantique de Rio Tinto, Sébastien Ross, a même parlé d’un « engagement ferme [de l’entreprise] à bouger rapidement ».

PHOTO MICHEL TREMBLAY, LE QUOTIDIEN

Lundi, quatre politiciens, dont le premier ministre François Legault, ont parlé de « discussions très avancées » pour Elysis.

Il faut dire que les politiciens et décideurs, bien que se disant tous fiers de l’annonce, n’avaient pas nécessairement de bonnes nouvelles du côté de l’emploi.

Les nouvelles alumineries, fortement automatisées, créent très peu d’emplois par rapport aux anciennes. La nouvelle usine AP60, de 160 000 tonnes, créera seulement 100 emplois permanents (outre la construction), indique l’entreprise. En comparaison, l’usine d’Arvida qu’elle remplacera, et qui produit sensiblement le même volume, compte trois fois plus d’employés syndiqués (350), en plus d’avoir des employés en sous-traitance (de 100 à 200).

Bref, le nombre d’emplois permanents sera possiblement divisé par trois…

L’information préoccupe dans la région, puisque la fermeture de certaines salles de cuves du centre d’Arvida débutera probablement dès l’an prochain, prévoit M. Ross.

Pour parer le coup, le gouvernement du Québec offre un prêt de 150 millions à Rio Tinto dont les termes sont principalement liés au maintien d’emplois, puis aux investissements de Rio Tinto. Plus précisément, le prêt deviendra « pardonnable » – donc transformé en subventions – selon le respect de ces deux conditions (qui restent à finaliser).

Lundi, Sébastien Ross, de Rio Tinto, a donc parlé de réaffectations d’employés à Alma, d’emplois dans le nouveau centre de recyclage et à l’usine de billette, et même d’attrition (retraite). Tout pourrait être calculé dans le décompte des emplois du prêt à remboursement conditionnel, selon ce qu’on peut comprendre.

Il faut aussi dire que les emplois liés à la construction de l’usine AP60, estimés à 1000, ne devraient pas être régis selon les conditions actuelles de l’industrie de la construction (loi R-20). Le gouvernement demandera plus de polyvalence aux employés.

« Notre collègue Jean Boulet [ministre du Travail] va être mis au travail pour voir comment on pourrait être plus flexible dans la construction. L’enjeu conventionné n’est pas seulement pour l’AP60. On a beaucoup, beaucoup de projets. M. Boulet va être très occupé dans les prochains mois », a dit le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon.

Il faut dire, enfin, que certaines des principales composantes de l’usine AP60, comme les 96 cuves, ne seront pas construites au Québec, mais en Chine, a confirmé Sébastien Ross. Cette sous-traitance viendra diminuer significativement les retombées économiques locales.

Reste la question de l’énergie. La nouvelle usine AP60 paiera le tarif L – basé sur les coûts d’Hydro-Québec – et non un tarif à partage de risque qui fluctue avec le prix de l’aluminium. Hydro ne ressemblera donc pas à l’image du Dollarama empruntée par l’ex-PDG Sophie Brochu.

Ce tarif L est d’ailleurs inscrit dans le contrat de 350 mégawatts qui lie Hydro-Québec à Rio Tinto (ou son ancêtre Alcan) depuis 1997 et jusqu’en 2045.

La vieille aluminerie d’Arvida paie nettement moins que ce tarif L depuis quelques années, mais c’est parce que les gouvernements successifs voulaient assurer la survie de l’usine et les emplois jusqu’à la fin de 2025.

Bref, l’AP60 passera à un tarif de 4,6 cents le kilowattheure, environ, comme les autres grands industriels du Québec, ce qui est 59 % supérieur au tarif payé par l’usine Arvida depuis 5 ans (2,9 cents).

L’usine pilote d’Elysis devrait aussi verser l’équivalent du tarif L, selon mes renseignements, mais l’entreprise bénéficiera d’autres avantages musclés offerts par Québec, pour l’instant non précisés. Les deux camps négocient-ils l’agrandissement de centrales électriques que possède Rio Tinto au Saguenay ? Hydro pourrait-elle acheter de la puissance à Rio Tinto à bon prix en période de pointe en échange d’autres formes d’avantages ?

Chose certaine, François Legault a clairement indiqué, lundi, être « disposé à prendre des risques » avec Rio Tinto concernant Elysis.

C’est un pari qu’il faudra suivre… d’ici le mois de septembre.

1. Les 160 000 tonnes de l’usine AP60 s’ajouteront au volume actuel de production de l’usine pilote AP60, de 56 000 tonnes.