Les alumineries du Québec obtiendront l’énergie supplémentaire à bon prix qu’elles réclament, en échange d’un effort supplémentaire de leur part pour aider Hydro-Québec à satisfaire la demande de puissance à la pointe dont les coûts explosent.

Cette « voie de passage » dans les négociations avec le gouvernement du Québec a été évoquée mercredi par le directeur exécutif de la division aluminium de Rio Tinto, Sébastien Ross, qui participait à une discussion sur l’avenir du secteur de l’aluminium organisée par le Conseil des relations internationales de Montréal, en compagnie des dirigeants des deux autres alumineries présentes au Québec, Alcoa et Alouette.

Cette rare sortie commune indique que les alumineries québécoises s’inquiètent de leur approvisionnement futur en électricité propre et pas chère, au moment où les ressources d’Hydro-Québec sont limitées et surtout très convoitées par la filière des batteries et des véhicules électriques que le gouvernement Legault veut développer.

Les contrats à partage de risques conclus avec Québec se terminent en 2029 et le temps commence à presser pour obtenir l’engagement du gouvernement que l’énergie dont les alumineries ont besoin pour assurer leur expansion sera disponible.

Une entente est toutefois proche, selon ce qu’on peut déduire des propos des trois dirigeants, avec à la clé une participation supplémentaire des alumineries pour soulager le réseau d’Hydro-Québec quand il est le plus sollicité.

Hydro-Québec prévoit que les coûts pour satisfaire cette demande de pointe quelques heures par année seront multipliés par dix au cours des prochaines années, de 60 millions actuellement à 697,8 millions en 2032.

Rio Tinto, qui possède ses propres installations de production capables de satisfaire actuellement de 90 % à 95 % de ses besoins en électricité, est en mesure d’aider Hydro-Québec à régler une partie de son problème de pointe, selon son dirigeant.

« On a des réservoirs et des lignes de distribution connectés au réseau d’Hydro-Québec. Il y a moyen d’optimiser conjointement nos réservoirs », a expliqué Sébastien Ross, qui estime que des « volumes assez importants » d’énergie peuvent être mis à la disposition d’Hydro-Québec sans réduire la production des usines.

La capacité de production du réseau hydroélectrique de Rio Tinto peut aussi être augmentée. « Aussitôt qu’on a une option d’augmenter notre production, on va le faire », a-t-il ajouté.

Alcoa et Alouette, qui exploitent les autres alumineries du Québec, ne produisent pas d’énergie et n’ont pas la même capacité de soulager le réseau d’Hydro-Québec, mais elles participent elles aussi au programme d’énergie interruptible utilisé par Hydro-Québec lors des périodes de forte demande. « On est absolument ouverts pour optimiser le programme », a indiqué Claude Gosselin, le président et chef de la direction d’Aluminerie Alouette.

D’autres contrats à partage de risques

Les producteurs d’aluminium veulent conclure avec le gouvernement des contrats à partage de risques comme ceux qui tirent à leur fin. « Les formules en place ont fait leurs preuves », estime le dirigeant d’Alouette. Ces contrats font varier le prix de l’électricité fournie par Hydro-Québec en fonction du prix de l’aluminium sur le marché international. Entre 2014 et 2020, les alumineries ont ainsi payé moins que le tarif industriel courant d’Hydro-Québec (tarif L), ce qui a permis aux usines québécoises de rester compétitives au niveau mondial, a fait valoir Jean Simard, le président de l’Association de l’aluminium du Canada. « Au tarif L, on aurait perdu des morceaux », a-t-il dit, en soulignant qu’Hydro-Québec fait quand même des profits avec les alumineries.

Le président d’Alcoa Canada, Louis Langlois, a souligné que le prix de l’électricité est une question de vie ou de mort pour les alumineries. « Un cent par kilowattheure de plus, c’est un coût de 150 $ supplémentaire par tonne. Ça équivaut à la marge de profit », a-t-il illustré.

Elysis : production prévue en 2026

Le secteur de l’aluminium, qui est le plus gros émetteur de gaz à effet de serre au Québec, veut devenir carboneutre en 2050. Il mise notamment sur la technologie pour y parvenir, dont celle développée par Rio Tinto et Alcoa baptisée Elysis. « La technologie existe, il faut maintenant atteindre le niveau commercial », a indiqué le dirigeant de Rio Tinto. Si Elysis démontre sa viabilité économique, la production commerciale pourrait commencer en 2026, a-t-il avancé.

Rio Tinto penche vers la construction de nouvelles installations pour intégrer sa nouvelle technologie, plutôt que de convertir des installations existantes, a dit Sébastien Ross.

Aluminerie Alouette, dont Rio Tinto est un des actionnaires, en a d’autres qui développent également des technologies zéro émission, a fait savoir Claude Gosselin. C’est le cas notamment du norvégien Hydro Aluminium, qui détient une participation de 20 % dans l’usine de Sept-Îles.

Aluminium contre batterie

Même si les ressources d’Hydro-Québec sont limitées, le Québec n’a pas à choisir entre le développement de la filière batterie et celui de son secteur de l’aluminium. « Il est possible de faire les deux », affirme Jean Simard. Selon lui, le Québec peut augmenter considérablement sa production d’énergie renouvelable pour satisfaire la demande industrielle, avec de nouvelles centrales hydroélectriques, de l’éolien ou de l’énergie solaire. Le porte-parole de l’industrie de l’aluminium se dit heureux de l’ouverture manifestée par le nouveau président d’Hydro-Québec, Michael Sabia, concernant l’augmentation de la production d’électricité. Dans les entrevues qu’il a accordées après sa nomination, M. Sabia a dit qu’il n’excluait aucune filière renouvelable, y compris le nucléaire.