(Ottawa) Le « mariage de convenance » entre divers partis politiques haïtiens au sein d’un conseil de transition devant préparer le terrain à une élection en Haïti ne sera « pas simple », convient l’ambassadeur du Canada en poste à Port-au-Prince, André François Giroux.

Son vis-à-vis aux Nations unies, Bob Rae, a affirmé mardi qu’« il n’y a pas de garantie dans cette situation » tout comme il n’en existe pas dans la vie, au cours d’une entrevue accordée au lendemain de sa participation à la rencontre d’urgence de leaders de la Communauté caribéenne (CARICOM).

Or, M. Rae a indiqué avoir entendu un engagement des représentants des formations politiques à travailler ensemble. Les représentants des groupes qui formeront le Conseil présidentiel de transition ont participé virtuellement à la réunion.

C’est une fois que ce conseil sera formé que le premier ministre Ariel Henry compte démissionner, selon ce qu’a annoncé celui qui s’était posé en leader de facto après l’assassinat, en juillet 2021, de l’ex-président Jovenel Moïse.

« Il y a de la bonne volonté, les gens sont prêts à faire le beau risque, mais c’est sûr que ce serait être naïf que de penser que ça va être simple à mettre en œuvre », a résumé l’ambassadeur Giroux dans un entretien virtuel accordé mardi depuis la Perle des Antilles.

Il a relevé que les différents partis politiques s’affronteront aux prochaines élections dont ils doivent préparer le terrain. Le conseil a été chargé par la CARICOM de sélectionner un premier ministre par intérim et de constituer, avec ce dernier, un conseil des ministres de transition « inclusif ».

« C’est sûr que ce sont des situations uniques puis c’est un mariage de convenance, on s’entend, un mariage forcé jusqu’à un certain point », a dit l’ambassadeur du Canada.

En même temps, sans partage de pouvoir, « beaucoup des partis politiques disaient “le processus électoral va être entaché dès le départ” », a-t-il ajouté.

Haïti est ravagé depuis des années par une crise d’insécurité, une flambée de violence par les gangs et des tensions politiques endémiques couplées à de l’insécurité alimentaire flagrante. La situation s’est d’autant plus dégradée à la fin février et, au début mars, des gangs ont libéré des milliers de prisonniers, amenant le pays à déclarer l’état d’urgence.

L’intensification des dernières semaines a été un incitatif pour faire déboucher les discussions entre partis politiques vers l’accord de transition survenu mardi, croit M. Giroux.

« [Ça] a vraiment donné le petit coup de pied dont les gens avaient besoin pour dire “si nous on ne s’entend pas, ça va être l’alternative violente qui va prendre la place”. »

À son avis, les acteurs en présence voudront placer « l’intérêt du pays, des Haïtiens qui souffrent tous les jours d’insécurité alimentaire et d’insécurité, point » avant leurs « intérêts purement partisans électoraux ».

M. Rae, s’il a entendu au cours des discussions de lundi, des « arguments », de part et d’autre et les commentaires de certains n’étant « pas tout à fait heureux avec quelque chose », il insiste pour dire qu’au final, tous les représentants du futur Conseil présidentiel de transition ont donné leur accord à la feuille de route.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L'ambassadeur du Canada aux Nations unies, Bob Rae

« On a posé la question directement “Est-ce que vous êtes prêts à participer ?” La réponse était “Oui”. Alors, pour moi, quand j’entends la parole, “oui”, alors “voilà, allons-y” », a-t-il soutenu.

L’ambassadeur aux Nations unies a souligné à plusieurs reprises que « c’est la responsabilité de ceux qui sont sur le terrain de décider comment ils vont faire » et non celle du Canada.

Les groupes qui auront leur place au conseil se sont aussi prononcés en faveur de l’éventuelle mission multinationale des Nations unies présidée par le Kenya.

Un responsable kenyan a déclaré mardi que le déploiement prévu d’au moins 1000 policiers dans le cadre de cette mission était suspendu et que les autorités attendraient l’installation d’une nouvelle autorité constitutionnelle en Haïti avant de prendre de nouvelles décisions.

Aux yeux de M. Rae, « il n’y a pas de raison de suspendre l’activité ou la préparation pour la mission parce qu’il y aura une transition vers un nouveau gouvernement ».

Questionné sur les critiques persistantes au sein de la diaspora haïtienne, notamment à Montréal, quant à une intervention étrangère qui répéterait des erreurs du passé, l’ambassadeur a vanté ce qu’il présente comme une approche différente cette fois-ci.

« Ce n’est pas une présence occidentale. Ce sont tous les autres qui sont venus pour dire “Oui, nous sommes prêts à participer”. Et ça, c’était une évolution de pensée de notre part. »

Le Canada a fait savoir le mois dernier qu’il financera à hauteur de 80,5 millions la mission multinationale. Les documents publiés au moment de l’annonce précisent que l’enveloppe financera notamment du soutien en matière de formation, de logistique et de communication.

L’intervention multinationale se justifie, selon M. Rae, par la crise sécuritaire. « Je poserais une question à ceux qui disent “Non, je ne veux pas d’une intervention” : “Eh bien comment allez-vous résoudre le problème ?” Parce que les gangs […] ne sont pas loin », a-t-il lancé en affirmant que la Police nationale d’Haïti (PNH) a accepté l’assistance proposée.

Une grande part des centaines de millions de dollars promis par le Canada, depuis 2022, en vue d’endiguer la crise haïtienne a été allouée à la PNH. Haïti n’a pas d’armée.

Avec des informations de l’Associated Press et de Dylan Robertson