(Riga) Il faudra encore trois ans au Canada pour tenir son engagement de transformer en « brigade prête au combat » un groupement tactique multinational de l’OTAN en Lettonie, a admis lundi le premier ministre Justin Trudeau.

Les deux pays ont signé une « feuille de route » qui décrit le processus amorcé il y a plus d’un an, lorsque le Canada s’est engagé à accroître la taille et la capacité de ce « groupement tactique de la présence avancée renforcée en Lettonie », dans le cadre des efforts de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour muscler son flanc oriental en réponse à l’invasion russe en Ukraine.

Le document détermine trois phases pour le passage vers une « brigade », qui impliquera éventuellement jusqu’à 2200 soldats canadiens déployés de manière constante, ainsi que la possibilité d’ajouter au besoin des centaines d’autres membres des Forces armées. La feuille de route prévoit enfin que la brigade sera complètement formée en 2025 et que la Lettonie s’emploiera à construire de nouvelles infrastructures.

« D’ici 2026, le Canada achèvera la mise en œuvre complète des capacités de brigade déployées de manière constante en Lettonie », peut-on lire dans le document.

M. Trudeau a tenu une conférence de presse commune, lundi, avec son homologue letton, Krišjānis Kariņš, à la base militaire d’Ādaži, à l’extérieur de Riga. Il a également serré la main de certains des 800 membres des Forces armées canadiennes déployés dans la mission.

Le premier ministre a souligné que les plans visant à accroître la présence du Canada à Ādaži dépasseront sa capacité actuelle. La base est un mélange de bâtiments permanents, d’abris temporaires, de tentes et de conteneurs maritimes.

M. Trudeau, qui avait également rencontré le président letton, Edgars Rinkēvičs, plus tôt lundi, a déclaré que les militaires supplémentaires renforceront les capacités terrestres, maritimes et aériennes du Canada et soutiendront les opérations spéciales en Europe centrale et orientale.

« C’est la voie à suivre dans la défense moderne, a soutenu M. Trudeau. Près d’une douzaine de pays de l’OTAN coopèrent, s’entraînent et travaillent côte à côte et tirent les uns des autres de précieuses leçons qui renforcent notre défense collective. »

Stephen Saideman, professeur à l’Université Carleton, estime que si le Canada dispose de juste assez de militaires pour intensifier la mission en Lettonie, c’est notamment parce qu’Ottawa a décidé de ne pas déployer beaucoup de soldats dans d’autres endroits comme Haïti.

« Cela signifie que tout le monde au sein de l’armée (canadienne) ira en Lettonie tous les deux ans – et nous avons déjà des gens qui ont fait deux ou trois missions en Lettonie », a-t-il déclaré.

Le professeur Saideman souligne par ailleurs que la base lettonne disposait de peu de munitions pour les exercices d’entraînement, car un grand nombre avait été envoyé en Ukraine. Il fait valoir qu’il pourrait être difficile d’empêcher les soldats de quitter les forces armées.

« Ils doivent finalement rendre cette mission désirable et agréable, de sorte qu’elle devienne un argumentaire de recrutement et de rétention, soutient-il. Parce que les militaires veulent continuer à faire des choses intéressantes […], pas recommencer tout le temps la même chose. »

2,6 milliards

Le premier ministre Trudeau a aussi annoncé que le Canada achèterait des systèmes d’armes de pointe, en plus de fournir de l’aide en matière de renseignement et de cyberactivité. Au total, 2,6 milliards ont été réservés, dont un engagement de 1,4 milliard prévus dans le budget de 2022.

« Le Canada et tous les pays doivent être clairs sur le fait que la guerre non provoquée de la Russie contre un pays indépendant, contre une Ukraine libre et démocratique, constitue une menace pour la liberté, le droit international, les droits de la personne et l’ensemble des valeurs démocratiques partagées que des générations de soldats ont défendues », a soutenu M. Trudeau.

Le mois dernier, la ministre Anand a annoncé qu’un escadron de chars Leopard 2, avec 15 chars et environ 130 personnes, rejoindrait la mission à partir de cet automne. Le Canada s’est également engagé à acheter des systèmes de défense aérienne et de défense côtière pour la mission.

Depuis le début de l’agression russe en Ukraine, l’Alliance atlantique a doublé le nombre de ces groupements tactiques dans la région, en ajoutant à quatre pays.

L’Allemagne s’est récemment engagée à stationner une brigade complète en Lituanie, où elle dirige un autre groupement tactique. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont terminé des exercices de l’OTAN pour montrer qu’ils peuvent rapidement passer à l’effectif de « brigade ».

Selon le professeur Saideman, le déploiement du Canada en Lettonie le place sur le même pied que des alliés dotés de forces militaires beaucoup plus importantes et d’une plus grande influence internationale.

« Étant donné que la Russie représente une menace pour l’ordre international fondé sur des règles, (la Lettonie) est probablement l’endroit où nous pouvons faire la plus grande différence pour empêcher la Russie d’aggraver la situation », a-t-il déclaré.

M. Saideman, qui est directeur du Réseau canadien de défense et de sécurité, s’est dit perplexe qu’Ottawa ne promette qu’une prolongation de trois ans, car il s’attend à ce que la Russie demeure dans les années à venir une menace pour la sécurité des États baltes comme la Lettonie.

Sommet de l’OTAN

M. Trudeau est arrivé lundi après-midi à Vilnius, capitale de la Lituanie voisine, où les dirigeants de l’OTAN se réunissent à compter de mardi pour leur sommet annuel.

Le Canada et plusieurs autres pays subiront des pressions pour augmenter leurs dépenses militaires, tandis que les alliés envisagent de faire de l’« objectif » actuel de 2 % du PIB un nouveau « seuil minimal ».

Ils débattront également de l’adhésion éventuelle de l’Ukraine à l’OTAN et de la question de savoir si l’alliance militaire prolongera la garantie de sécurité provisoire. M. Trudeau soutient une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

La première ministre lituanienne, Ingrida Šimonytė, a déclaré en conférence de presse conjointe que l’Ukraine avait besoin d’une sorte de protection. « Nous devons intégrer plus rapidement l’Ukraine dans l’architecture de sécurité euroatlantique », a-t-elle déclaré aux journalistes lundi par l’intermédiaire d’un interprète.

« Ce n’est qu’en supprimant les zones grises que nous pourrons mettre fin au cercle vicieux des guerres russes en Ukraine, en Europe. »

Trudeau se dit contre l’usage des bombes à dispersion

Justin Trudeau a déclaré lundi que le Canada continuerait de militer fermement pour que les bombes à dispersion « ne soient jamais utilisées », alors que les États-Unis viennent d’annoncer qu’ils envoyaient ce type de munitions pour aider l’Ukraine à repousser l’agresseur russe.

Le premier ministre a déclaré lundi aux journalistes en Lettonie, à la veille d’un sommet des leaders des pays membres de l’OTAN, que le Canada respectait la convention internationale interdisant l’utilisation de ces bombes qui dispersent de petits engins explosifs sur un vaste territoire.

Or, certains de ces nombreux engins n’explosent pas en touchant le sol, mais peuvent le faire des années plus tard, tuant des civils.

Le premier ministre a rappelé que le Canada avait été l’un des pays qui ont milité pour l’interdiction de ces bombes à sous-munitions et qu’il « continuera à défendre très fermement » cette position. Il a ajouté en français que ces bombes ne devraient « jamais » être utilisées.

M. Trudeau a abordé cette délicate question lorsqu’on lui a demandé s’il ferait pression sur l’administration de Joe Biden pour qu’elle n’envoie pas de ces bombes à l’Ukraine – ou s’il demanderait au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, de ne pas les utiliser.

Washington a fait valoir que l’Ukraine avait besoin de telles armes afin de poursuivre sa contre-offensive contre la Russie, alors que Kyiv manque de certaines armes qui ne seront pas remplacées tant que la production industrielle n’aura pas rattrapé son retard.

M. Trudeau a ajouté en conférence de presse lundi qu’il comprenait que des pays envoient autant de munitions que possible à Kyiv.

Dylan Robertson, La Presse Canadienne