Avec l’admission annoncée de la Suède comme 32e membre de l’OTAN, le diagnostic de « mort cérébrale » de l’Alliance posé en 2019 par le président français, Emmanuel Macron, ne tient plus. Ravivée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Alliance a gagné deux pays depuis, étudie l’adhésion de l’Ukraine, et nombre de ses membres s’attendent désormais à ce que la cible de 2 % – dont le Canada est encore loin – devienne un plancher.

Depuis le départ de Donald Trump, les sommets sont plus consensuels, non ?

Plus harmonieux, peut-être, mais pas forcément plus consensuels – et l’ancien président des États-Unis a laissé sa trace, fait valoir Justin Massie, codirecteur du Réseau d’analyse stratégique. « Il avait lancé l’idée en 2018 d’exiger non pas 2 % [du PIB consacré par les membres aux dépenses en défense], mais 4 %. L’idée a fait son chemin, et là, les pays baltes et la Pologne, notamment, disent qu’effectivement, 2 % devrait être un plancher et non une cible », explique-t-il.

Le 2 % comme plancher ? Mais le Canada n’arrive déjà pas au plancher…

En effet. Le Canada en était à 1,29 % en 2022, selon l’OTAN (1,38 % pour 2023, d’après une évaluation préliminaire datée du 7 juillet dernier). En juin 2022, le directeur parlementaire du budget estimait qu’il faudrait hausser les dépenses militaires de 75 milliards dans les cinq prochaines années pour atteindre le seuil du 2 %. Cela dit, le gouvernement conteste depuis plusieurs années la méthode de calcul de l’Alliance, et selon CBC, Ottawa tente de convaincre de puissants alliés comme les États-Unis d’élargir la définition de ce qui est comptabilisé.

PHOTO GINTS IVUSKANS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jusqu’à 2200 soldats seront installés en continu sur le sol letton dans le cadre de la mission de dissuasion Réassurance de l’OTAN, a annoncé lundi le premier ministre Justin Trudeau.

Justin Trudeau risque-t-il de se le faire reprocher à Vilnius ?

« La pression va monter. Le monde est plus dangereux, il faut agir en conséquence », dit Kerry Buck, qui a été ambassadrice et représentante permanente du Canada auprès de l’OTAN entre 2015 et 2018. L’ancienne diplomate mentionne néanmoins que « la plupart des alliés n’atteignent pas la cible de 2 % », et elle ne s’attend donc pas à ce que le langage du communiqué en matière de contribution soit contraignant. N’empêche, le Canada est à la traîne, et « va se retrouver comme l’un des seuls pays qui n’a aucune volonté politique » (selon une fuite⁠1) d’arriver à l’objectif, critique Justin Massie.

Le premier ministre arrive-t-il en Lituanie avec des annonces ?

Il a préparé le terrain lors de son passage en Lettonie voisine, lundi, en annonçant que la présence canadienne y serait doublée – jusqu’à 2200 soldats seront installés en continu sur le sol letton dans le cadre de la mission de dissuasion Réassurance de l’OTAN. Là même où des militaires ont dû payer de l’équipement de leur propre poche⁠2, et où, « quand j’ai parlé aux troupes, elles m’ont dit que s’il y avait une attaque contre la Lettonie, le stock actuel de munitions leur permettrait de tenir une heure », relate M. Massie, professeur titulaire de science politique à l’Université du Québec à Montréal. Sinon, de nouvelles sanctions contre la Russie devraient être annoncées par Ottawa pendant le sommet, selon nos informations.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui sera présent au sommet, repartira-t-il avec un engagement de l’OTAN ?

À ce sujet, le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, dont le mandat a été prolongé d’un an pour la quatrième fois consécutive, a été clair. Tant que le Kremlin fera pleuvoir des missiles sur l’Ukraine, il n’est pas question pour celle-ci d’y accéder comme membre. « C’est une position qui a du sens, puisque l’épine dorsale du Traité de l’Atlantique Nord, l’article 5, stipule qu’une attaque contre un membre est une attaque contre tous », relève Kerry Buck.

PHOTO FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

L’OTAN peut-elle tout de même ouvrir la voie à une adhésion de l’Ukraine ?

Oui, mais il faudra s’entendre sur un mécanisme. Les 31 pays membres actuels ne sont pas tous sur la même longueur d’onde. « Certains comme les États baltes, la Pologne ou le Royaume-Uni voudraient un processus formel, le Plan d’action pour l’adhésion (PAA), pour qu’on signale que l’Ukraine va se joindre », note Justin Massie. Quant aux autres, dont les États-Unis et l’Allemagne, ils préfèrent offrir à Kyiv des garanties de sécurité à long terme.

Parlant de ce que l’Alliance fournit à l’Ukraine, quid de cette récente promesse des États-Unis de lui expédier des armes à sous-munitions ?

Là-dessus, Washington se retrouve en porte-à-faux avec la majorité des pays de l’OTAN (et du reste du monde), qui ont paraphé la Convention sur les armes à sous-munitions des Nations unies. « On continue d’être très fermes que [ces armes] ne devraient jamais être utilisées », a déclaré lundi Justin Trudeau à la base d’Ādažil, en Lettonie. « C’était une décision très difficile », a de son côté argué le président américain, Joe Biden, sur les ondes de CNN, dimanche dernier. Les plus petits projectiles de ces armes non détonés peuvent exploser par après, comme des mines antipersonnel. L’Ukraine et la Russie ne sont pas signataires de la Convention.

La mort cérébrale de l’OTAN était-elle grandement exagérée ?

« Vladimir Poutine a rendu l’OTAN encore plus pertinente, je pense, qu’à ses débuts », estime Kerry Buck.

(1) Lisez le texte « Le Canada n’atteindra jamais les cibles de dépenses, a admis Trudeau » (2) Lisez un texte de la CBC (en anglais)