La cofondatrice de l'organisme MU, Elizabeth-Ann Doyle, n'est pas née à Montréal, mais plutôt à Sherbrooke, où elle n'a cependant jamais vraiment vécu. Peu après sa naissance, sa famille a déménagé au Michigan pour suivre un père médecin qui allait y faire des études. Quatre ans plus tard, elle suivait dans la métropole sa mère et sa soeur, pour une nouvelle vie en famille monoparentale.

Montréal est depuis sa ville, celle qu'elle adore, qu'elle défend et qu'elle a entrepris de transformer, une oeuvre murale à la fois.

Cette année, notre personnalité de la semaine célèbre plusieurs grands anniversaires pour MU, l'organisme qu'elle a cofondé avec Emmanuelle Hébert en 2007 : 10 ans de peinture urbaine, 100 oeuvres murales à travers toute la ville et environ 10 000 jeunes aidés, encadrés, initiés à l'art visuel.

Le parcours de Mme Doyle est à la fois éclectique et logique. Tout a commencé par des études d'histoire à l'université, dont elle pensait qu'elles la mèneraient vers le droit, puis les relations internationales. Elle rêvait d'un emploi qui la ferait voyager, découvrir le monde. Mais quelques cours de droit après son diplôme de premier cycle en histoire allaient lui ôter toute envie de s'engager dans cette voie. Elle a préféré revenir sur le chemin de départ et s'est inscrite en maîtrise. Elle a payé ses études en travaillant à la billetterie de la Place des Arts. La jeune femme, dont la mère conseillère politique féministe engagée est morte dans un accident de voiture alors qu'elle-même avait 17 ans, devait subvenir à ses propres besoins.

L'emploi d'appoint n'en était donc pas un. Doyle dévorait les spectacles, se plongeait dans le monde des arts de la scène. « Je travaillais, et le reste du temps, je voyais des shows », raconte-t-elle. Au bout de six ans, son diplôme déjà en main, elle a décroché un autre emploi au Musée des beaux-arts, toujours à la billetterie. « Je gérais des équipes. Mais surtout, il n'y avait pas une journée où je ne me pinçais pas de travailler là. Mon bureau était au coeur de la section d'art précolombien et inuit. Imaginez ! »

Mais l'envie de voyager était toujours là.

Comment combiner sa passion pour les arts et celle pour la découverte du monde ? Doyle a postulé au Cirque du Soleil et a été embauchée. Pendant huit ans, elle sillonnerait les États-Unis avec Quidam, Dralion et Varekai... C'étaient de grandes années pour la troupe. Elle s'occupait des relations publiques.

« Et là j'ai rencontré l'homme de ma vie et j'ai voulu revenir à Montréal pour être avec lui. »

Elle est restée avec le Cirque, mais a travaillé à partir de la métropole. Elle organisait les soirées d'ouverture des nouveaux spectacles.

« À ce moment-là, le Cirque était en pleine expansion et une de mes responsabilités était d'identifier les groupes de jeunes dans les villes où on allait, parce qu'on avait une tradition de toujours aider un organisme. Et à Philadelphie, en faisant cette recherche, je suis tombée sur un groupe, MAP, Mural Arts Program, qui faisait de la bienfaisance avec des oeuvres murales, et j'ai adoré. Ça m'est resté dans la tête, je me suis dit : "Il faut faire ça à Montréal." »

Le temps a passé, le travail s'est poursuivi.

« Mais après un moment, raconte-t-elle, j'ai commencé à vouloir faire quelque chose de moins éphémère. »

La question se posait. Que faire au juste ?

Et puis est arrivée une idée d'ailleurs. Le Cirque voulait faire faire une oeuvre murale à Saint-Michel. Les souvenirs et le présent se croisaient. Elizabeth-Ann et son amie Emmanuelle Hébert sont parties à Philadelphie faire un stage intensif au MAP. Non seulement Saint-Michel aurait son oeuvre murale, mais ce serait un projet communautaire, intégrateur là aussi. Ce serait un projet pour les ados du quartier.

MU venait de faire ses premiers pas. Et l'oeuvre murale est encore là, à l'angle de la 42e Rue et du boulevard Pie-IX. C'était en 2007.

« Au départ, on ne pensait pas que ça deviendrait une entreprise, mais le contexte était favorable. »

Elizabeth-Ann pouvait se permettre d'absorber une réduction massive de salaire pour prendre le projet en main. « C'est un choix que j'ai fait. »

Au départ, explique-t-elle, le projet rêvé aurait été de faire peindre les ados eux-mêmes, leur donner des pinceaux et des pots de peinture Benjamin Moore - partenaire depuis toujours - pour qu'ils fassent les oeuvres murales en question. Mais ce n'était pas réaliste.

MU a plutôt mis sur pied un programme à l'intention des écoles visant à encourager les jeunes à explorer, à adopter l'art, le dessin, l'illustration. « On fait découvrir les métiers artistiques, avec des mentors, notamment. » L'art devient aussi un véhicule de contact avec ces jeunes. Environ 10 000 sont passés par les ateliers de MU en 10 ans, surtout dans des milieux défavorisés.

Le modèle d'affaires ? La Ville est le principal partenaire financier, Benjamin Moore est là pour la peinture, les budgets de chaque fresque dans la ville comprennent une portion communautaire qui servira à financer les programmes directs pour les jeunes. Les entreprises des quartiers où seront les fresques participent, tous les joueurs sur place. « On réussit, projet après projet, mais on est dans une grande précarité », explique la cofondatrice qui est cependant heureuse de dire que pour la première fois cette année, MU a reçu un don d'un grand donateur privé, le fonds de la famille Fournel, dont la mission est d'aider les jeunes fragilisés.

« J'en suis fière, dit-elle. C'est un début. »

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

On peut voir cette oeuvre murale à l'angle des rues Guy et Saint-Jacques à Montréal.