Le torchon brûle à l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), où le président du conseil d’administration fait face à une forte contestation depuis qu’il a annoncé qu’il comptait cumuler deux emplois.

Patrick Savard assumera la direction générale de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), au grand dam d’au moins une partie de ses collègues administrateurs de l’ARTM, qui doivent déjà composer avec un climat tendu.

M. Savard, ancien directeur général de la Ville de Longueuil, gagnera 243 000 $ à l’OIQ et sa rémunération pourrait frôler les 200 000 $ à l’ARTM. Il a refusé la demande d’entrevue de La Presse.

Le service des communications de l’organisation qu’il préside a défendu ses choix.

« Le poste de président, comme l’ensemble des membres siégeant au conseil d’administration, n’est pas un poste à temps plein, et ce, depuis la constitution de l’ARTM le 1er juin 2017 », a indiqué Simon Charbonneau, directeur des communications, dans un courriel. « M. Savard s’est assuré du respect du Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics et du Code d’éthique et de déontologie de l’ARTM auprès d’un consultant juridique indépendant. »

C’est loin d’être suffisant pour certains administrateurs.

« En plein cœur d’une très grande transformation, voir le président à la tête du principal organisme responsable de tout ça occuper cette fonction-là à temps partiel, moi, ça me préoccupe », a indiqué un membre influent du conseil d’administration de l’ARTM. « Le transport en commun en ce moment vit l’une des plus grandes transformations des dernières décennies, beaucoup de projets structurants, mais aussi de gros défis de financement. »

L’emploi de M. Savard, « ce n’est pas une petite job de fin de semaine », a indiqué un autre membre du C.A.

Il y a trop de défis en ce moment pour que ce soit un sideline.

Membre du conseil d’administration de l’ARTM

Ces administrateurs n’ont pas voulu s’exprimer publiquement par crainte de représailles.

L’ARTM a été créée en 2017 pour chapeauter le travail de tous les exploitants des transports en commun du Grand Montréal. C’est elle qui encaisse les revenus de vente des titres de transport, qui attribue les budgets annuels et qui planifie le développement de nouveaux projets.

Pierre Shedleur, le prédécesseur de M. Savard à la tête de l’ARTM de 2017 à 2022, n’a pas voulu commenter son cas. Il a toutefois souligné qu’il s’agit d’un poste « exigeant », qui nécessite beaucoup de doigté politique et la capacité de chapeauter un budget de 3,2 milliards.

« Pleine disponibilité et entière collaboration »

La nomination de Patrick Savard à la direction générale de l’Ordre des ingénieurs a été annoncée par communiqué de presse plus tôt cette semaine.

« Tout comme ses prédécesseurs, il occupera ce poste à temps plein », a indiqué Sophie Larivière-Mantha, présidente de l’Ordre des ingénieurs, dans une déclaration écrite. Sa rémunération « comprendra un salaire annuel de 243 000 $ ainsi que les avantages sociaux consentis aux employés », a-t-elle continué, ajoutant qu’« il n’est pas inhabituel que le dirigeant d’une organisation occupe également des fonctions d’administrateur d’un autre organisme ».

À l’ARTM, le salaire de M. Savard est composé d’un montant de base de 64 000 $, en plus de quelque 1000 $ par réunion du conseil d’administration ou d’un comité de celui-ci. En 2019, par exemple, M. Shedleur avait touché 126 273 $, mais son salaire de base n’était alors que de 18 000 $.

M. Savard ne reçoit toutefois pas encore de salaire : conformément à son décret de nomination, il touche actuellement une indemnité de départ de la Ville de Longueuil jusqu’en octobre prochain, moment à partir duquel l’ARTM le paiera.

« Nous avons été avisés de la nomination de M. Savard à la tête de l’OIQ », a réagi le directeur des communications de la ministre des Transports, Maxime Roy. « Pour nous, comme pour monsieur Savard, il est primordial que le président du conseil d’administration s’acquitte des tâches et responsabilités qui lui incombent. M. Savard nous a assurés de sa pleine disponibilité et entière collaboration. »

Climat tendu

Le mécontentement autour du double emploi de M. Savard s’inscrit dans un climat déjà tendu entre d’une part l’ARTM, d’autre part les villes et les exploitants des transports en commun.

« Il y a des tensions au sein du conseil d’administration », a rapporté l’un de ses membres à La Presse.

« Les gens ne s’entendent pas tous sur la direction où aller. Il y a beaucoup de pression de Québec, qui a offert du financement d’urgence », a ajouté un autre. « Ce n’est pas tant un conflit de personnalités, mais les tensions sont élevées de manière générale en ce moment. Un président peut être une clé de solution comme ce peut être de l’huile sur le feu, dépendamment de son attitude et du travail qu’il met là-dedans. »

Le directeur des communications de l’ARTM n’a pas nié l’existence de tensions.

« La perte d’achalandage liée à la pandémie, les enjeux de financement et les pertes de revenus qui en découlent imposent une énorme pression sur l’ensemble des acteurs de l’écosystème et des contributeurs au financement du transport collectif », a écrit M. Charbonneau. « Cette situation exige un effort collectif conséquent et interpelle les municipalités, l’ARTM et des sociétés de transport. Malgré tout, l’ensemble des acteurs demeure mobilisé et dévoué pour le développement de la mobilité durable. »