Le sergent Éric Belley reconnaît l’homme dès que ce dernier ouvre la porte. Aucun doute cette fois, c’est celui de la photo reçue par le lieutenant-détective Michael Sewall. Même la casquette vissée sur sa tête correspond à celle qu’il porte sur le cliché.

Nous sommes chez le voisin du couple que la police a passé l’après-midi à surveiller. Éric Belley se présente, montre son insigne, et demande à l’individu de s’identifier. Le nom correspond au compte Google. Le cellulaire qui se trouve dans sa poche est un Samsung Galaxy.

La fillette n’est pas là. Elle est chez sa mère.

À 17 h 08, le 24 janvier, le sergent Belley procède à son arrestation et demande un nouveau mandat de perquisition – le mandat actuel n’étant valide que pour le logement du couple voisin. Il sera autorisé à 18 h 40.

En plus de plusieurs appareils électroniques – dans lesquels ils trouveront des milliers de fichiers de pornographie juvénile, dont des dizaines de sa fille –, les policiers saisissent, entre autres choses, une couche souillée de sperme et un polo identique à celui porté sur la photo envoyée à Michael Sewall.

Pendant ce temps, dans une salle d’interrogatoire d’un poste de la SQ à Trois-Rivières, le suspect, que nous ne nommons pas dans ce reportage pour protéger l’identité de sa victime, fournit enfin le mot de passe de son cellulaire.

Il est passé 22 h. Voilà plusieurs heures que l’interrogatoire est commencé. Le suspect est « dans sa tête », se souvient le sergent Guévremont. « Par expérience, souvent, les gars sont en train de se demander comment on les a attrapés, ce qu’on sait sur eux. »

Au début, il parle un petit peu de sa fille et de sa famille, « mais il n’est pas à l’aise encore de parler du dossier ».

« Je ne veux pas répondre », lâche-t-il lorsqu’on lui demande s’il utilise la messagerie Kik. « Ah, ça se peut », finit-il par dire.

Ils avancent doucement, posant des questions sur sa vie en général, et essayant d’établir un climat de confiance propice à la confidence.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le sergent Frédéric Guévremont

Dans des cas de pornographie juvénile ou de contacts sexuels, ce n’est pas des choses dont ils peuvent parler à leurs chums dans le vestiaire de hockey. Souvent, la première personne à qui ils vont en parler, c’est avec nous.

Le sergent Frédéric Guévremont, chef d’équipe au bureau de Boucherville de la division des enquêtes sur l’exploitation sexuelle des enfants sur l’internet

« Le fait qu’on soit des enquêteurs d’expérience et qu’on fait des dossiers comme ça à longueur d’année, on prend le temps de leur dire ça », souligne le sergent Guévremont.

Lorsque l’homme comprend l’ampleur de la preuve récoltée contre lui, il finit par tout avouer. Mais il ne démontre que peu de remords, martelant ne jamais avoir fait de mal à sa fille.

Après neuf jours d’enquête, les policiers ont leur homme. L’enfant est saine et sauve. Les séquelles n’en sont pas moindres. Dans une lettre déposée à la cour, la mère de la victime racontera comment la petite craint désormais les hommes et fait des cauchemars chaque nuit.

En février 2023, le Québécois a plaidé coupable à des accusations de production, possession, distribution de pornographie, d’accès à de la pornographie et de contacts sexuels sur sa fille. Il a été condamné à six ans derrière les barreaux. Il sera inscrit au registre des délinquants sexuels pour les 20 prochaines années.

Un an plus tard, Michael Sewall, par qui tout a commencé, lance ce message : « Ces gens-là, ils n’ont rien à faire d’une frontière sur une carte. Tout ce qui leur importe, c’est d’exploiter des enfants. Alors de dire, en tant que policier, que je ne m’intéresse qu’aux enfants dans mon comté, ou dans mon État, ou dans mon pays, ça serait complètement ridicule. »

« Trop de gens pensent encore comme ça, dénonce Michael Sewall. Un enfant, c’est l’enfant de tout le monde. C’est notre responsabilité à tous de nous en occuper. Même quand c’est compliqué. Même quand c’est loin. »

En un an et demi d’enquêtes, le lieutenant-détective Sewall n’a sauvé aucun enfant dans le comté de Winnebago. « Et c’est très bien comme ça », dit-il.

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Nombre de victimes canadiennes, identifiées par la police dans le cadre d’enquêtes comme celle de ce reportage, qui ont été ajoutées dans la base de données internationale d’INTERPOL sur l’exploitation sexuelle des enfants (ICSE) entre le 1er avril 2022 et le 31 mars 2023.

Source : GRC