Le sergent Éric Belley, de la Sûreté du Québec (SQ), pianote sur son clavier d’ordinateur. Il veut tout savoir sur les occupants du logement qui est désormais dans la ligne de mire de la police, un couple.

Ont-ils un dossier criminel ? Non.

Un permis d’arme à feu ? Non plus.

Le policier reçoit les photos de permis de conduire de l’homme et de la femme et compare celle de l’homme avec une photo (prise de profil) que le suspect a envoyée au policier Michael Sewall, quelques jours plus tôt sur Kik. Si le sergent Belley ne peut pas affirmer qu’il s’agit du même individu, la photo est ressemblante.

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Le lieutenant Marc-Antoine Vachon et le sergent Jean-Louis Darveau, de la Sûreté du Québec

Sans compter que le couple a l’âge d’avoir des enfants et que la femme travaille dans un restaurant Tim Hortons (l’appareil électronique du suspect ayant déjà été détecté dans un établissement de la chaîne). « Toutes les pièces commencent à se mettre ensemble. On se dit bingo. On est à la bonne place », se souvient le lieutenant Marc-Antoine Vachon.

Pendant ce temps, les sergents Frédéric Guévremont et Jean-Louis Darveau sont postés dans une voiture banalisée devant l’appartement pour s’assurer que les résidants, qui ne se doutent de rien, ne quittent pas les lieux. Tous deux chefs d’équipe au bureau de Boucherville de la division des enquêtes sur l’exploitation sexuelle des enfants sur l’internet, ils sont arrivés en renfort dans la matinée. Ils ne se sont pas fait prier.

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Le sergent Jean-Louis Darveau

Dans ce type de dossier là, quand je sais que présentement, il y a une enfant qui est victime, ça vient me chercher.

Jean-Louis Darveau, chef d’équipe au bureau de Boucherville de la division des enquêtes sur l’exploitation sexuelle des enfants sur l’internet

À 1600 kilomètres de là, le lieutenant-détective Michael Sewall a gardé contact avec le prédateur. Père de deux enfants, Michael Sewall traque les pédophiles en ligne depuis 10 ans. Quand il en tient un, il ne le lâche pas tant qu’il n’est pas mis hors d’état de nuire.

« Je continue à leur parler le soir, la fin de semaine, tout le temps. Ça les met encore plus en confiance. Ils ne peuvent pas s’imaginer qu’un policier serait aussi dévoué, dit-il. Quand ils me parlent d’abuser de leur victime, j’essaie de les rediriger vers autre chose sans éveiller leurs soupçons. »

Alors que les enquêteurs de la SQ attachent les derniers fils, Michael Sewall reçoit de la part du cyberprédateur quatre nouvelles vidéos. Dans l’une d’elles, on voit le pédophile en train d’abuser de sa fille. La preuve révélera plus tard que cette vidéo avait été créée la veille.

Un sentiment d’impuissance envahit l’agent d’infiltration, témoin en direct de l’horreur. Les vidéos sont transmises à la GRC, qui prévient la SQ.

Deux heures plus tard, au Québec, un juge de paix autorise une perquisition au domicile ciblé par la police.

Dans leur véhicule banalisé, les sergents Guévremont et Darveau attendent toujours leurs collègues pour exécuter la perquisition lorsqu’ils voient l’homme quitter le logement et partir dans son auto. Immédiatement, ils l’interceptent et l’arrêtent pour production, distribution et possession de pornographie juvénile et contacts sexuels.

L’homme réagit avec calme. « Je n’ai rien à voir là-dedans », dit-il simplement. Les enquêteurs saisissent son cellulaire. Ce n’est pas un Samsung Galaxy, mais rien n’indique qu’il n’en possède pas un autre chez lui. Les enquêteurs lui font part de ses droits et l’amènent au poste. Une autre équipe entre dans l’appartement pour mener la perquisition.

C’est en parlant avec la résidante des lieux que les policiers apprennent une information cruciale. Le couple partage depuis quelques jours sa connexion internet avec le voisin. Ce dernier a une fille d’environ 2 ans en garde partagée.