(Longueuil) Il a forcé sa nièce de 16 ans à devenir sa femme. Il l’a isolée, insultée et violentée. Il l’a violée plus de 1000 fois. Il a même agressé sexuellement leurs deux filles à répétition. Pour avoir imposé une « peine à vie » à ses victimes, ce bourreau mérite une peine exemplaire de 15 ans de pénitencier, selon la Couronne.

Ce résidant de La Prairie de 56 ans a fait vivre pendant deux décennies un calvaire sans nom à sa conjointe, Selma*, et à leurs deux filles. Malgré sa dénégation, il a été reconnu coupable sur toute la ligne de nombreux crimes sexuels en octobre dernier. Pour protéger les victimes, on ne peut le nommer. L’audience pour déterminer sa peine avait lieu jeudi au palais de justice de Longueuil.

L’honneur est à l’origine de cette affaire. C’est parce qu’elle avait déshonoré sa famille, dans son pays natal, que Selma a été envoyée au Québec pour se faire avorter. Sans papiers et sans statut au Canada, elle est alors tombée sous l’emprise de son oncle de 33 ans. Un homme violent et contrôlant. Elle avait 16 ans. Elle n’avait aucun contact extérieur. Aucun ami.

Pendant des années, Selma et son conjoint semblent former une « famille normale » dans leur quartier de la Rive-Sud de Montréal. Mais dans les faits, Selma est prisonnière. Son bourreau contrôle toutes ses allées et venues, son cellulaire et son portefeuille. Elle est agressée sexuellement régulièrement.

Après plusieurs fausses couches, Selma a finalement deux enfants avec son oncle. Quand elle termine le primaire, leur benjamine écrit une lettre à sa mère pour lui confier avoir été agressée par son père. L’autre fille dit avoir vécu la même chose. Il est question de nombreux gestes sexuels.

« J’ai été victime d’abus sexuel par l’homme qui était censé m’apprendre à faire du vélo, à conduire, à surmonter mes peurs et à me donner l’amour paternel. Il n’était pas supposé me briser le cœur, mais plutôt le premier à me consoler », a confié la benjamine dans une lettre lue à la cour jeudi.

Maintenant que son bourreau est condamné, la jeune femme peut maintenant se tourner vers l’avenir.

« Je peux enfin commencer à vivre et à respirer pour la première fois de ma vie », conclut la jeune femme.

Après avoir vécu « l’enfer », Selma tente maintenant de se reconstruire en retournant aux études. Un exercice difficile pour une femme prisonnière pendant deux décennies. « Il m’a volé mon avenir », dit-elle. De plus, elle doit vivre en sachant que son agresseur a aussi abusé de ses filles.

Il nous a brisées. Et ce n’est pas avec légèreté que je prononce ces mots.

Selma

Selma relate avoir vécu deux décennies dans un « état total d’épuisement ». « J’avais peur tout le temps. Peur de ses coups de colère. La peur était mon mal. Cette peur m’avait tellement envahie que je ne réalisais pas ce qui se passait tellement j’étais tétanisée. J’ai fonctionné comme ça pendant 18 ans. »

« Il a imposé trois peines à vie aux victimes »

Les facteurs aggravants sont très nombreux, a insisté le procureur de la Couronne, MBruno Des Lauriers. « On peut parler de plus de 1000 agressions sexuelles » à l’égard de Selma, a-t-il fait valoir, en plus de nombreux attouchements envers ses deux filles. Le procureur relève aussi l’abus de confiance et d’autorité, l’âge des victimes, leur vulnérabilité et l’emprise totale sur celles-ci.

« Par ses gestes, il a imposé trois peines à vie aux victimes », a plaidé MDes Lauriers, qui recommande une peine de 15 ans d’emprisonnement. Il faut savoir qu’à l’époque des crimes, la peine maximale en matière d’agression sexuelle et d’exploitation sexuelle était moins sévère qu’aujourd’hui.

L’avocate de la défense, MAudrey Santerre, a proposé une peine « importante » de huit ans de détention en considérant certains facteurs atténuants, comme l’absence d’antécédent judiciaire et les excuses de l’accusé. Celui-ci a en effet lu une lettre « d’excuses » à la cour jeudi. Or l’homme – qui a fait appel du verdict – n’admet pas avoir commis les agressions.

« Aujourd’hui, je sais que j’aurais dû écouter la raison et mettre un terme à notre relation et je le regrette amèrement. J’aimerais te présenter toutes mes excuses. […] J’ai fait face à ma solitude […] et je comprends maintenant tout ce que tu as pu vivre », a dit l’homme, qui jouit toujours de sa liberté.

Notons que l’homme sera fort probablement expulsé du Canada au terme de sa peine, comme il est résident permanent.

La juge Dannie Leblanc rendra sa décision en juin prochain.

* Prénom fictif