Rebecca* vivait dans la rue avec un conjoint violent quand Jeffrey Audet l’a en quelque sorte « achetée » en échange d’une dette de drogue. Elle avait 19 ans. Pendant des années, elle a dû faire jusqu’à 35 « clients » par jour. Tous les jours. Même s’il a reconnu ses torts mardi, son bourreau bombait le torse dans le box des accusés.

Le sourire moqueur et le regard arrogant, Jeffrey Audet semblait à ses aises pendant l’audience au palais de justice de Montréal. Le proxénète ne se gênait pas pour dévisager la victime et les journalistes. Au point où un constable a dû se placer entre lui et le public.

Malgré le sérieux de l’audience, Jeffrey Audet, tout sourire, lançait des baisers à ses proches depuis le box des accusés. Quand Rebecca a éclaté en sanglots pendant l’audience, une proche du proxénète s’est exaspérée dans la salle. « Ah ! S’il te plaît ! », a lancé la femme du camp Audet.

Le Montréalais de 35 ans a plaidé coupable mardi à trois chefs reliés au proxénétisme. Il a été condamné à 18 mois de détention, fruit d’une suggestion commune. Cette peine peut sembler clémente, prise isolément. Mais dans les faits, sa peine totale est de six ans et demi pour deux victimes, puisque Jeffrey Audet a été condamné l’hiver dernier à cinq ans de pénitencier pour proxénétisme d’une mineure.

« J’ai des séquelles qui me hantent depuis sept ans. Depuis le jour où Jeffrey est rentré dans ma vie, j’ai subi d’innombrables abus. Je ne me reconnais plus. La femme que j’étais à 19 ans n’est plus là », a témoigné Rebecca, à fleur de peau, aux côtés de l’enquêtrice.

Rebecca s’est retrouvée dans les griffes de Jeffrey Audet lorsque ce dernier a payé la dette de drogue du conjoint de la jeune femme. Il a aussi donné de la drogue à l’homme en « échange » de Rebecca. Son emprise s’amorçait. Au départ, le proxénète conservait 40 % des fruits de la prostitution, avant d’accaparer la totalité.

Pendant des années, Rebecca devait se prostituer de six à sept jours par semaine et offrir ses services à une dizaine de « clients ». Même jusqu’à 35 fois par jour. C’est Jeffrey Audet qui gérait tout : les clients, les annonces, les prix, etc. Il la forçait à travailler même pendant ses menstruations. Selon la victime, le proxénète possédait plusieurs armes à feu.

Depuis qu’elle est sortie de son emprise, Rebecca tente de se reconstruire. Elle est retournée aux études et aspire à se trouver un métier. Mais la jeune femme doit lutter contre les idées noires, l’anxiété et le stress. Un défi titanesque pour cette femme brisée par des années de traumatismes.

Aujourd’hui, Rebecca aspire seulement à la paix d’esprit.

« [J’aimerais] avoir un peu plus de lumière et de douceur dans le reste de ma vie et finir par être en paix avec ce que j’ai subi et être en paix avec moi-même », a-t-elle soufflé, bouleversée.

« Je ne suis pas capable de dire plus, je suis trop bloquée… Je ne suis pas capable. Je suis pu capable. J’en peux plus », a-t-elle conclu, prise de sanglots.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Jeffrey Audet, qui lance des doigts d’honneur aux journalistes en 2023 en marge de son procès pour proxénétisme

S’il a plaidé coupable rapidement dans le dossier de Rebecca, Jeffrey Audet s’est rendu jusqu’au procès dans le dossier de la victime mineure. Le juge Antoine Piché l’a reconnu coupable en octobre dernier et lui a imposé une peine de cinq ans d’emprisonnement en février dernier.

Dans cette affaire, c’est la mère de l’adolescente qui a permis de sortir sa fille de l’emprise du proxénète. En cherchant le numéro de cellulaire de sa fille sur l’internet, la mère a découvert qu’elle offrait des services sexuels. Les policiers ont localisé l’adolescente le soir même.

*Nom fictif pour protéger son identité

L’histoire jusqu’ici

Février 2020 : Jeffrey Audet est accusé de proxénétisme d’une mineure. Celle-ci a été sauvée par sa mère.

Février 2024 : Le proxénète est condamné à cinq ans de prison pour proxénétisme d’une adolescente

2 avril 2024 : Jeffrey Audet plaide coupable de proxénétisme à l’égard d’une adulte. Il est condamné à 18 mois de prison supplémentaires.