Amélie Lapointe-Fortier aurait dû quitter l’établissement Leclerc le 7 mars, après y avoir passé quelque temps en détention provisoire. Mais en raison d’une « erreur administrative », elle n’a été libérée que quatre jours plus tard. Un séjour, dit-elle, passé dans un « climat infernal », qui aurait pu être plus court encore si l’établissement avait accepté les paiements par carte.

Dans la nuit du 3 au 4 mars, une dispute éclate entre Mme Lapointe-Fortier et son colocataire. Appelées sur les lieux, les forces de l’ordre arrêtent la femme de 35 ans et l’amènent au poste de police. Peu après, elles la transfèrent à l’établissement de détention Leclerc, à Laval. Au matin du 4 mars, elle est amenée, pieds et mains menottés, au palais de justice de Montréal.

Là-bas, Mme Lapointe-Fortier est accusée de méfait, d’avoir proféré des menaces et d’avoir infligé des lésions corporelles au plaignant. Des chefs d’accusation auxquels elle plaide non coupable et qui n’ont pour l’heure pas subi l’épreuve des tribunaux.

Le lendemain, lors de son enquête sur remise en liberté, on lui intime de payer une caution de 150 $. Elle apprend cependant qu’il lui est impossible de payer par carte bancaire – seul l’argent liquide est accepté à l’établissement Leclerc. « Je n’avais pas d’argent avec moi, donc je n’ai pas pu sortir », déplore Mme Lapointe-Fortier, en entrevue avec La Presse. L’avocate Vanessa Sadler, qui représente Mme Lapointe-Fortier, ignorait elle aussi que les paiements par carte n’étaient pas traités à ce centre de détention.

Pourtant, le ministère de la Sécurité publique (MSP) le confirme : l’établissement Leclerc « n’est pas en mesure d’accepter le paiement des dépôts monétaires par carte ». Et ce, parce qu’il ne « dispose pas d’un terminal de point de vente du ministère de la Justice du Québec ».

« Erreur administrative »

Le cafouillage du système ne s’arrête pas là. Elle est transférée dans une aile plus populeuse et peine, dit-elle, à joindre son avocate. Elle y parvient finalement, et MSadler inscrit une nouvelle audience au rôle. Le 7 mars, la prévenue comparaît de nouveau et voit sa caution levée au profit d’un engagement plus grand. Si elle ne respecte pas les conditions qui lui sont imposées – dont celle de ne pas s’approcher de son colocataire –, elle devra payer une somme de 350 $.

J’étais heureuse, je pensais que j’allais signer [un document] et être libérée après coup.

Amélie Lapointe-Fortier

« Dans ma tête, elle sortait avec une signature », confirme MSadler. L’avocate estime que c’est à ce moment qu’a débuté la détention illégale de sa cliente.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

L’établissement de détention Leclerc, à Laval

À l’établissement Leclerc, « on continuait de me dire que je devais payer 150 $ en argent comptant, je ne comprenais rien », explique Mme Lapointe-Fortier. Jusqu’au 11 mars, quand elle sera finalement libérée, elle « longe les murs ».

Là-bas, ça se chicane pour des miettes. J’essayais d’être à mon affaire, de ne pas déranger personne, mais c’est un milieu vraiment stressant.

Amélie Lapointe-Fortier

En février 2023, une demande d’exercer une action collective a été déposée à la Cour supérieure en raison du « traitement inhumain des femmes incarcérées à l’établissement Leclerc ». « Toutes les femmes détenues à Leclerc sont victimes de violations de leurs droits fondamentaux », pouvait-on y lire. L’audience sur cette demande doit avoir lieu le 20 mai prochain.

Joint par La Presse avec un exposé des faits, le ministère de la Sécurité publique a confirmé qu’une « personne incarcérée à [l’établissement Leclerc] aurait été détenue illégalement du 7 au 11 mars ». Cette situation, explique le Ministère, « découlerait d’une erreur administrative ayant entraîné un délai dans le traitement d’un document légal ».

Le séjour de Mme Lapointe-Fortier la hante encore aujourd’hui et l’a laissée avec une question en tête… « Comment se peut-il que le milieu carcéral fonctionne de la sorte ? »

Des centaines de cas

Selon ce qu’a rapporté le quotidien Globe and Mail en mai dernier, plus de 450 personnes auraient été détenues illégalement au moins une journée au Québec, entre janvier 2012 et mars 2022. De ce nombre, 53 auraient passé plus d’une semaine derrière les barreaux.

Lisez l’article du Globe and Mail « Quebec illegally detained hundreds of people for days to months, documents show » (en anglais)

En décembre 2022, le cas de Nicous D’Andre Spring, mort après une intervention des agents correctionnels à la prison de Bordeaux, avait fait les manchettes. Le jeune homme de 21 ans se trouvait en détention illégale au moment de l’intervention qui a mené à son décès.

Le MSP dit déplorer ces situations et assure mettre « tous les efforts nécessaires pour éviter que des erreurs ne se produisent », comme ce fut le cas pour Mme Lapointe-Fortier. « Toute personne qui croit avoir été incarcérée injustement ou trop longtemps en raison d’une erreur administrative peut demander un dédommagement », rappelle-t-il.

Dédommagement ou pas, Amélie Lapointe-Fortier juge « inconcevable de détenir des personnes » qui ne devraient pas l’être. « On risque de tout perdre » en pareilles circonstances, dit-elle.