(Québec) « Ça ne va pas bien aux tables [de négociation], on n’avance pas. » La présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Mélanie Hubert, dont les membres mènent une grève générale illimitée, souhaite que Québec intensifie les pourparlers pour en arriver à une entente avant Noël. Pour y parvenir, le gouvernement doit reculer sur sa demande de négocier aux tables nationales un nouveau processus d’affectation des enseignants, qui mène chaque été à une course contre la montre pour trouver un prof par classe à temps pour la rentrée.

En point de presse mercredi à Québec, alors qu’une délégation des quelque 65 500 profs en grève manifestaient devant le Parlement, Mme Hubert a mitraillé une à une les demandes du gouvernement, attaquant particulièrement l’attitude des centres de services scolaires qui font preuve, selon elle, d’une rigidité sans nom.

« Ce n’est pas le syndicat qui est rigide. Les profs qu’on représente jugent que les solutions [proposées], particulièrement sur les affectations, vont les ramener 30 ans en arrière », a-t-elle dit.

En mêlée de presse, la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a malgré tout affirmé qu’elle voyait comme un « très bon signe » que la FAE est ouverte à négocier avec Québec comment « avoir des rentrées scolaires moins chaotiques », même si le syndicat rejette la proposition gouvernementale.

Le premier ministre François Legault a affirmé la semaine dernière qu’il était prêt à bonifier l’offre salariale si les syndicats jetaient du lest sur les règles d’organisation du travail.

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Le premier ministre François Legault, accompagné de la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel.

« On essaie de faire notre possible pour améliorer les conditions de travail des enseignants, des infirmières, mais aussi [pour] aller chercher la flexibilité qu’on aurait dû aller chercher depuis 20 ans [dans les] conventions collectives pour qu’on soit capable de donner de meilleurs services à nos enfants et à nos patients », a-t-il dit mercredi.

« Je pense qu’on veut que les syndicats nous disent : si j’augmente l’enveloppe de 14,8 %, on met l’argent où ? On devrait, tous les partis, avoir le même objectif : oui, bien payer notre monde, mais aussi être capable d’améliorer les conditions de travail et améliorer les services qu’on donne à nos enfants dans les écoles et qu’on donne aux patients dans les hôpitaux », a ajouté le premier ministre.

Pour les profs, cela passe entre autres par une révision complète du processus d’affectation des enseignants, estime Québec. Or, ces façons de faire sont historiquement négociées entre les centres de services scolaires et les syndicats locaux, plutôt qu’aux tables de négociations nationales.

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Mélanie Hubert

« Penser qu’on va réussir à inclure ça dans une entente avant les Fêtes, c’est absolument irréaliste et honnêtement irresponsable quand on considère qu’il y a en ce moment 66 500 profs dans les rues et qu’il y a un demi-million d’élèves qui ne vont pas à l’école », a dit Mme Hubert.

Selon elle, revoir le processus d’affectation pour éviter une nouvelle ronde à la fin de l’été est irréaliste et placerait les profs en début de carrière, qui n’ont pas de permanence, dans une situation encore plus précaire. Elle prévient également que les enseignants pourraient choisir de partir pour le secteur privé, où leurs compétences sont recherchées, si les négociations n’ouvrent pas la porte à une amélioration tangible de leurs conditions de travail.

« Le vrai psychodrame de la rentrée, c’est de voir qu’année après année, le système perd une proportion importante de gens qualifiés, de gens compétents, et qu’on les perd parce qu’on n’a pas su prendre soin d’eux », a dit Mme Hubert.

Le temps presse

Alors que l’impasse se poursuit aux tables de négociation, la présidente de la FAE n’a pas expliqué pourquoi le syndicat n’avait pas demandé la présence d’un conciliateur, comme l’a pourtant réclamé et obtenu le front commun. « Si on constate qu’on est dans une impasse, il faudra changer de stratégie », a-t-elle dit.

Dans tous les cas, la FAE estime qu’il faut une entente d’ici les Fêtes et se dit prête à participer à un blitz de négociations pour y parvenir.

« Je ne peux pas croire que ça ne sera pas réglé à Noël. On a des gens dans la rue. Il y a un demi-million d’élèves qui ne va pas à l’école. Il faut que ça soit réglé avant Noël et le but de prendre la rue, c’était ça. On ne peut pas continuer à tourner en rond », a-t-elle dit.

« Ce qu’on aimerait aussi, c’est que le gouvernement comprenne qu’il n’y aura pas de solutions magiques qui vont donner des résultats dans les prochains six mois. Ça fait 20 ans que le réseau se dégrade. Ça va probablement prendre autant de temps, deux, trois, quatre rondes de négociations, pour vraiment rattraper tout ce qui s’est perdu au fil du temps », a ajouté Mme Hubert.

Plus de classes spécialisées

Par ailleurs, la FAE réclame l’ouverture de nouvelles classes spécialisées afin d’offrir des services éducatifs appropriés poue les enfants ayant des besoins particuliers. Or, le réseau scolaire fait face à une pénurie croissante d’enseignants et de professionnels.

Mélanie Hubert reconnaît qu’il faudra plus de profs pour ouvrir ces nouvelles classes, mais elle estime qu’il faut s’y mettre pour les cinq prochaines années afin d’équilibrer la composition des classes dites ordinaires et de donner une meilleure qualité de travail aux enseignants.

« Si on équilibrait mieux les groupes et qu’on était capable de placer les élèves dans la classe qui est adaptée à leurs besoins, le prof dans la classe régulière ne s’épuisera plus. Il va finir son année sur ses deux pattes dans la classe avec des élèves. Il faut que ça soit pris en compte dans l’équation. Les demandes d’indemnités en invalidité n’ont pas cessé d’augmenter dans les dernières années », a dit Mme Hubert.

Dans sa dernière offre, le gouvernement a offert 10,3 % d’augmentation salariale sur cinq ans, en plus d’un montant forfaitaire de 1000 $ la première année. À cela s’ajoute une somme équivalant à 3 % réservée à des « priorités gouvernementales », ce qui fait que le gouvernement présente son offre comme valant 14,8 % sur cinq ans. Les syndicats, à la fois la FAE et le front commun, ont rejeté cette offre, la qualifiant de « dérisoire ». Ils n’ont pas effectué de contre-offre, ce que réclame par ailleurs Québec. Mardi, le front commun a pour sa part annoncé que ses 420 000 membres ajoutaient sept nouvelles journées de grève, du 8 au 14 décembre. La prochaine étape serait la grève générale illimitée en 2024.

Avec Fanny Lévesque et La Presse Canadienne