Des parents s’insurgent contre le changement de vocation à la prochaine rentrée d’une petite école de Lanaudière qui accueille depuis 25 ans des jeunes avec de grandes difficultés de langage. Les services aux élèves seront offerts plus près de leur domicile, plaide le centre de services scolaire.

Pour Valérie Lemire, apprendre que son fils allait fréquenter l’école primaire de Grand-Pré a été comme gagner « le gros lot ». À presque 5 ans, Jérôme ne parlait toujours pas. C’est le langage des signes qui a permis aux adultes de communiquer avec lui.

Son entrée à la petite école de Saint-Jacques, dans Lanaudière, a eu l’effet d’un baume dans sa vie et celle de ses parents.

« Tous les services sont regroupés à l’école, ce qui permet qu’il ait des suivis exceptionnels. Je ne suis plus obligée d’aller deux ou trois fois par semaine au centre de réadaptation », explique Mme Lemire.

L’école de Grand-Pré accueille cette année une soixantaine d’élèves répartis dans six classes. Les classes langage du territoire du centre de services scolaire y sont réunies. Il s’agit d’enfants qui ont une atteinte sévère sur le plan de l’expression verbale et une atteinte modérée à sévère de la compréhension verbale.

Le centre de services scolaire des Samares explique qu’il « réorganise » les services, notamment afin de les offrir « le plus près possible du lieu de résidence de l’élève », écrit sa porte-parole Maude Jutras.

« Les mêmes services seront offerts aux élèves, et même davantage », poursuit-elle. L’intégration des élèves dans des écoles dites régulières leur permettra en outre de demeurer dans une même école jusqu’à la fin de leur primaire, explique-t-on aussi. À l’école de Grand-Pré, les élèves doivent quitter l’établissement lorsqu’ils soufflent leurs dix bougies.

Cette explication ne convainc pas Nadia Ménard, présidente du conseil d’établissement de l’école.

« On nous dit qu’il ne faut pas laisser [les élèves] dans une bulle de verre. Je suis psychoéducatrice de formation, je suis d’accord avec ça. Cependant, il faut avoir les moyens de nos ambitions. Si on intègre, il faut avoir le contexte et le personnel pour que ça se passe de façon harmonieuse », dit-elle.

« On a un modèle qui fonctionne. Pourquoi mettre la hache là-dedans ? », demande celle dont la fille Jeanne, 7 ans, fréquente l’école.

« Un calcul purement mathématique »

Dans le projet éducatif de l’école, on lit que « c’est l’union [des] expertises qui permet de faire progresser [les] élèves. La stabilité du personnel est un facteur favorable à cette collaboration ».

Au Syndicat de l’enseignement de Lanaudière, on note aussi qu’il s’agit d’une école qui va bien. Les enseignantes, orthophonistes, ortophédagogue, éducatrice spécialisée, préposées aux élèves handicapés, psychologue et ergothérapeute forment ensemble une véritable « expertise » auprès de ces élèves.

« Tous les élèves qui passent à travers les classes évoluent, les enseignants les connaissent, le personnel les connaît et ils sont en mesure d’intervenir auprès d’eux avec le ton approprié », dit Mathieu Lessard, président de ce syndicat.

Le personnel qui travaille à l’école de Grand-Pré, dit-il, ne voit pas en quoi il est opportun de changer la formule actuelle.

Ça ne peut pas être fait et pensé pour le bien de nos élèves. Ça ressemble plutôt à un calcul purement mathématique.

Mathieu Lessard, président du Syndicat de l’enseignement de Lanaudière

Le centre de services scolaire explique que 43 élèves sont touchés par cette réorganisation, puisque 16 d’entre eux devaient partir pour une autre école à la prochaine rentrée.

La présidente du conseil d’établissement note pour sa part que 21 élèves sont à leur première année de fréquentation et devront changer d’école de nouveau en septembre.

Nadia Ménard dit qu’elle « cogne à toutes les portes » depuis qu’elle a appris la décision du centre de services. « J’ai fait une plainte au protecteur de l’élève. Ça fait trois mois, je n’ai toujours pas de nouvelles », dit-elle. Elle déplore que le centre de services tente de la « discréditer ».

« Ils ne répondent pas à nos craintes, à nos interrogations qui sont légitimes. On parle de l’intimidation et de l’exclusion de nos enfants, qui ont beaucoup vécu ça à la maternelle », relate Mme Ménard.

Valérie Lemire se souvient trop bien de l’année de son fils en maternelle. Lorsque Jérôme n’arrivait pas à se faire comprendre, il se faisait vomir.

Maintenant âgé de 9 ans, il n’écrit et ne lit toujours pas, mais il va bien. « On espère qu’il saura lire et écrire un jour. C’est fou comme il s’est amélioré depuis qu’il est à cette école-là », dit Mme Lemire.

Si le centre de services scolaire maintient sa décision, elle explique qu’elle recommencera à faire plusieurs heures de route chaque semaine pour que Jérôme puisse avoir des services de réadaptation.

« Je ne laisserai pas aller mon fils », dit Valérie Lemire.