Ceux qui n’ont pas dénoncé l’enseignant et l’éducatrice spécialisée1 qui ont abusé des élèves pendant de longues années sont aussi coupables que les auteurs des crimes, dit le protecteur de l’élève du centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSSPI). Il se dit toutefois convaincu qu’il n’y a pas eu de « complot » dans les écoles pour protéger ces abuseurs.

Roberto Colavecchio est chargé de traiter les plaintes concernant les écoles de ce centre de services depuis une douzaine d’années.

« On ne va pas se mettre la tête dans le sable : d’abord, il y a l’énergumène qui a fait ce genre de choses totalement inacceptables. Deuxièmement, si quelqu’un a vu quelque chose et n’a pas réagi, n’a pas appelé la police ou l’administration, ces personnes sont aussi coupables [que les criminels] », dit M. Colavecchio.

Il affirme que les deux histoires de crimes sexuels qui ont éclaboussé le CSSPI cette semaine n’ont jamais abouti sur son bureau.

« Ces cas n’ont pas été portés à mon attention par des parents ou des élèves dans les dernières années », soutient le protecteur de l’élève, qui ajoute qu’il n’a jamais même eu vent d’un seul cas de violences à caractère sexuel pendant toutes ses années dans cette fonction.

Un système « des plus efficaces »

Il faut dire que de nombreuses étapes doivent être franchies par un plaignant avant qu’un dossier puisse être déposé auprès de cette instance. Il faut d’abord s’adresser à la personne visée par la plainte (un enseignant, par exemple), puis à la direction de l’école, mais aussi à la direction du « réseau » auquel l’école appartient.

Roberto Colavecchio affirme pourtant que le système de traitement des plaintes du CSSPI est « un des plus efficaces ».

Comment se fait-il alors que dans les écoles où les deux crimes qui se sont retrouvés en cour cette semaine se sont produits, personne n’ait sonné l’alarme plus tôt ?

L’élève de l’école Antoine-de-Saint-Exupéry a dit s’être confiée à une prof en 2014. Cette dernière avait-elle dénoncé la situation à sa direction, par exemple ? L’enseignante n’avait pas répondu aux messages de La Presse, mercredi soir.

L’enseignant Dominic Blanchette, qui a plaidé coupable mardi d’avoir agressé cinq fillettes et jeunes adolescentes sur une période de cinq ans, a sévi dans deux écoles et un camp de vacances.

Roberto Colavecchio dit qu’il ne faut pas « bâtir une histoire de complot [selon laquelle] on a essayé de cacher ça » dans les écoles.

« Les gens avec qui j’ai travaillé au cours des années, ce sont des gens à leur affaire qui ont les enfants et l’éducation à cœur, ce ne sont pas des gens qui auraient caché ça », par amitié pour l’un des coupables, par exemple.

« Je serais très surpris », ajoute-t-il, tout en reconnaissant qu’il « n’y a rien d’impossible dans la vie ».

« Des gens vont devoir se poser des questions »

Professeur de sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski, Jean Bernatchez dit qu’on ne trouve pas dans les écoles qu’il a visitées dans le cadre de ses recherches une solidarité telle qu’on hésiterait à dénoncer des crimes de nature sexuelle commis par des collègues.

« Je ne vois pas l’intérêt de protéger une personne dans un contexte comme celui-là, ça n’a pas de sens. Ça peut se reproduire à partir du moment où personne ne la dénonce, c’est d’autant plus préoccupant », illustre M. Bernatchez.

« Il y a beaucoup de gens qui vont devoir se poser des questions » dans le réseau scolaire, indique pour sa part Olivier Bégin-Caouette, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal (UdeM).

PHOTO VERONIQUE GEVRY, FOURNIE PAR OLIVIER BÉGIN-CAOUETTE

Le professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal Olivier Bégin-Caouette

Ça concerne à la fois les profs et les directions. Ça n’a aucun sens qu’on en soit là. Le système a quand même établi beaucoup de garde-fous. Mais il y a une réflexion à avoir sur le niveau de surveillance de nos jeunes, pour savoir réellement à quel point ils se sentent à l’aise de dénoncer, et sur la rigueur des mécanismes en place.

Olivier Bégin-Caouette, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’UdeM

Professeur au département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal, Éric Morissette aimerait qu’on offre une formation plus poussée aux élèves et au corps professoral.

« Le rôle du témoin est central. Quand on forme des enfants à être des témoins, on sait qu’ils seront mieux en mesure de dénoncer. Plutôt que de garder le silence, l’enfant apprend comment réagir pour arrêter la situation. Juste enseigner, ce n’est pas suffisant dans des dossiers pareils », soutient-il.

Quoi qu’il en soit, le processus de traitement des plaintes dans les écoles est en voie d’être entièrement révisé en vue de la prochaine rentrée scolaire. En entrevue avec La Presse plus tôt cette semaine, le protecteur national de l’élève a expliqué que dans les cas d’acte de violence à caractère sexuel, les plaignants pourront s’adresser directement à leur protecteur régional. MJean-François Bernier a expliqué qu’il est prévu à la loi que ces cas-là soient traités de façon urgente.

Avec la collaboration d’Henri Ouellette-Vézina, La Presse

Le CSSPI « bouleversé »

Mercredi, La Presse a demandé une entrevue avec la directrice générale du centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSSPI) pour savoir comment de tels crimes avaient pu perdurer aussi longtemps et ce qui était fait pour éviter que de telles situations se répètent. Sa porte-parole nous a répondu par courriel. « Ce sont des situations inacceptables que nous déplorons et qui nous bouleversent », écrit Valérie Biron. Le CSSPI, dit-elle, « redoublera d’ardeur » dans la promotion de son code d’éthique et de son système d’alerte. Le code d’éthique du centre de services scolaire « comprend un mécanisme de protection des élèves, afin que quiconque est témoin d’actes répréhensibles ou en soupçonne l’existence alerte les personnes responsables », poursuit Mme Biron.

Marie-Eve Morasse, La Presse

1. Lisez « Une éducatrice spécialisée a exploité sexuellement une élève pendant des années