À la prochaine rentrée scolaire, élèves, professeurs et parents pourront compter sur un nouveau système de traitement des plaintes dans les écoles, chapeauté par un protecteur national de l’élève, MJean-François Bernier. Dans la foulée de la reconnaissance de culpabilité de l’enseignant Dominic Blanchette, qui a fait plusieurs victimes sur une période de cinq ans, La Presse s’est entretenue avec MBernier.

Question : au cours des dernières années, on a vu des cas d’agressions sexuelles persister dans des écoles où les signaux d’alarme se multipliaient pourtant. Comment éviter que de telles situations se reproduisent ?

Réponse : vous l’avez dit : il y a un sentiment que les signaux d’alarme ne sont pas captés de façon efficace. Les plaignants vont pouvoir s’adresser directement à leur protecteur régional pour faire une plainte d’un acte de violence à caractère sexuel, ou faire un signalement. Un signalant, c’est quelqu’un d’autre que la victime : ça peut être un professeur qui voit quelque chose et pourra se manifester pour le dire. La loi prévoit que ces cas-là sont traités de façon urgente.

PHOTO FOURNIE PAR LE PROTECTEUR NATIONAL DE L’ÉLÈVE

Me Jean-François Bernier est le tout premier protecteur national de l’élève.

Le protecteur régional pourra aussi, de sa propre initiative, lancer une enquête ou une intervention en matière de violences sexuelles. Ça pourrait être un article qu’il lit dans un journal, quelque chose qu’il entend.

Q. De quels moyens disposera le protecteur régional pour intervenir ?

R. Dès qu’il recevra une plainte, il va avertir la direction de l’école, sauf si le plaignant s’y oppose. On envoie un signal à la direction : je viens de recevoir une plainte concernant telle situation, telle personne dans l’école. On n’a pas le pouvoir de dire à un prof : tu restes chez vous demain matin. On va s’adresser à son patron, qui est le directeur de l’école, c’est à lui à prendre cette décision.

J’ai rencontré les représentantes de « La voix des jeunes compte » [collectif qui s’attaque aux violences sexuelles dans les écoles]. Ce que j’ai entendu et senti, c’est un grand cynisme. Un cri du cœur pour dire que la police n’est pas toujours la voie qu’elles veulent prendre. On parle beaucoup de gestes sexuels clairs, mais il peut y avoir d’autres actions, qui peuvent être par exemple des envois de photos inappropriées. [Les victimes] ne sont pas toujours prêtes à faire une plainte à la police et la machine elle-même peut être un traumatisme de plus. Un ombudsman, c’est quelqu’un qui est là pour informer et, au besoin, assister les plaignants. J’ai bien l’intention qu’on joue ce rôle pleinement.

Q. Y aura-t-il un suivi, une fois que le directeur d’une école aura été averti ?

R. On transmet les informations au directeur de l’établissement, sauf si on a des motifs raisonnables de croire que la transmission pourrait nuire à une enquête. On va avoir une obligation de signalement. On va aussi informer la victime si c’est une situation où la police devrait être [avisée]. On va s’assurer d’arrimer nos affaires [avec la DPJ et la police] pour que le canal de communication soit efficace et que tout le monde puisse réagir rapidement.

Q. Parfois, les victimes ont 11 ou 12 ans.

R. Si la victime a moins de 14 ans, on a l’obligation d’informer ses parents. Chaque situation est un cas d’espèce.

Q. On parle souvent d’omerta dans les écoles. Tout le monde craint les représailles : les profs, les parents, les élèves. Comment pourra-t-on endiguer ces craintes ?

R. La crainte de représailles va toujours exister, mais la loi prévoit aussi que les gens qui sont victimes de représailles peuvent faire une plainte, et il y a des amendes prévues. C’est important de passer un message qu’on n’acceptera pas que des représailles soient faites, que ce soit à un professeur qui signale quelque chose ou au plaignant. Les plaintes de représailles seront prises au sérieux. Nous aurons une équipe chargée de ces enquêtes.

Q. Vous avez parlé de cynisme. Qu’est-ce qui ne marche pas en ce moment ?

R. Il y a une quarantaine de protecteurs de l’élève. Ils ne sont pas coordonnés, font leurs affaires de leur bord. Un cas qui se passe en Abitibi peut être traité de manière différente en Gaspésie. On n’a pas la même lecture d’une situation, notamment en matière d’actes sexuels.

Dans la prochaine procédure, les protecteurs de l’élève régionaux vont relever de moi. On va s’asseoir autour de la table et on va échanger des cas. Nous aurons une vision provinciale de ce qui se passe dans le traitement des plaintes.

On a vu des situations où le professeur se promène d’école en école et l’information ne suit pas tout le temps. Quand un protecteur régional va intervenir, faire une enquête et rendre des recommandations, il sera en prévention : qu’est-ce qui a fait en sorte de nous amener à ça ? On va assurer le suivi des recommandations. On va demander aux centres de services ce qu’ils entendent faire et dans quel délai. On va les suivre jusqu’à ce qu’on ait le sentiment que la job est faite.

Q. Iriez-vous jusqu’à dire que les cas de violences sexuelles qui perdurent pendant plusieurs années ne surviendront plus ?

R. C’est l’objectif ultime, qu’on en arrive là. J’ai le sentiment qu’on peut faire une différence. Ça ne sera pas magique, mais si on peut contribuer au changement des mœurs, à sensibiliser et s’assurer qu’on ne voie plus de situations comme ça, je serai le premier heureux.

*Les propos de cette entrevue ont été remaniés à des fins de clarté et de concision.

En savoir plus
  • De 2000 $ à 20 000 $
    Amendes auxquelles s’expose toute personne physique qui exerce des mesures de représailles ou menace de le faire.
    Source : Protecteur national de l’élève
    De 10 000 $ à 250 000 $
    Amendes auxquelles s’exposent les personnes morales (centre de services scolaire, commission scolaire, établissement d’enseignement privé) qui exercent des mesures de représailles ou menacent de le faire.
    source : Protecteur national de l’élève