Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie. Là où il y a du financement politique, il y a du grenouillage potentiel.

Malgré les réformes de la Loi électorale, malgré la corruption exposée par la commission Charbonneau, les risques de dérapage demeurent. Chaque fois que ça retrousse, la confiance des citoyens envers les politiciens et la démocratie est ébranlée.

Cette semaine, Radio-Canada nous apprenait justement qu’une citoyenne qui voulait que son député fasse cheminer son dossier jusqu’au ministre des Finances s’est fait répondre qu’elle devrait plutôt payer 100 $ pour participer à une activité de financement où elle aurait l’occasion de parler elle-même à Eric Girard1.

Quand on sait que la Loi électorale exige que les contributions politiques soient réalisées « sans compensation ni contrepartie », il est inacceptable de monnayer l’accès aux ministres.

Pourtant, les cocktails de financement et les activités de « réseautage » ne sont pas rares. Ce genre d’évènements est un terreau fertile pour faire éclore un marché d’influences où se rencontrent les intérêts politiques et économiques. Car les participants qui versent 100 $ ne s’y rendent pas pour jaser de la pluie et du beau temps avec les ministres.

Faudrait-il donc « sortir les ministres du financement politique » comme le préconise le Parti québécois ?

Faudrait-il interdire l’annonce de projets, de contrats ou de subventions lors d’activités de financement politique, comme l’avait recommandé la commission Charbonneau ?

Et rendu là, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique en abolissant carrément les contributions politiques privées ?

Après tout, au fil des ans et des scandales, la contribution annuelle maximale est déjà passée dans le tordeur, baissant de 3000 $ à 1000 $ en 2011, puis à seulement 100 $ en 2013.

Pour compenser, le gouvernement a plus que triplé le financement public qu’il verse aux partis. Désormais, le financement privé représente moins du quart du financement total, alors qu’il constituait plus des trois quarts de leurs revenus autour de 2010.

Mais vouloir réduire à zéro le financement privé est une fausse bonne idée.

S’ils dépendaient uniquement de l’argent public, les partis pourraient perdre de vue les intérêts de ceux qu’ils représentent, estiment les experts2. On ne veut pas tuer le militantisme, la démocratie interne des partis et la reddition de comptes qui s’y rattache.

Pire encore. Si le financement provenait uniquement du public, on pourrait voir apparaître des « cartels » de vieux partis qui bloqueraient l’émergence de nouvelles formations politiques, puisque le financement public est accordé en fonction du nombre de votes obtenus par chacun des partis lors du dernier scrutin.

Bref, un savant dosage de privé et de public reste la meilleure approche. Et le Québec est déjà l’un des endroits au monde où le financement privé est le plus encadré.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucun boulon à resserrer dans notre mécanique électorale. Contrairement au financement politique, qui a connu de nombreuses réformes, l’encadrement des dépenses électorales n’a pas été modernisé. Et l’avènement des élections à date fixe pose de nombreux enjeux.

Depuis que la date des élections est connue à l’avance, les partis politiques lancent leur campagne avant le déclenchement officiel, ce qui leur permet d’éviter la limite des dépenses publicitaires qui s’applique uniquement durant la campagne.

En 2018, leurs dépenses de précampagne ont explosé de 400 %. Et en 2022, la publicité précampagne mettant en vedette une dame chantant les louanges de François Legault, avec sa casquette bleue et son fameux chandail rayé, avait fait beaucoup jaser.

Ce n’est pas normal que les partis contournent les règles du jeu. Qu’ils quittent les blocs de départ avant le début de la course.

L’absence de plafond limitant les dépenses durant la précampagne favorise les partis aux poches plus profondes. Cela compromet l’égalité des chances, sans qu’on ait l’information pour bien cerner l’ampleur du problème.

L’intensification des activités de précampagne augmente aussi le risque que les élus entament subtilement leurs activités partisanes tout en continuant de siéger à l’Assemblée nationale et de diriger l’État.

Plusieurs provinces, comme le Manitoba et l’Ontario, encadrent la publicité des gouvernements pour s’assurer que l’argent du public ne soit pas détourné à des fins partisanes. Le Québec devrait suivre le pas.

Il devrait aussi forcer les tiers (syndicats et entreprises, par exemple) à s’enregistrer s’ils font des dépenses avant la campagne officielle.

Élections Québec mène actuellement des consultations en ce sens3. Il est temps d’agir si on veut assainir les pratiques à temps pour les prochaines élections.

1. Lisez « Cocktails de financement de la CAQ : “On incite les gens à faire du lobbying illégal” » 2. Consultez l’ouvrage « Financement des partis politiques et des campagnes électorales – Lignes directrices » 3. Consultez le rapport « Pour une nouvelle vision de la Loi électorale »

La position de La Presse

Réduire à zéro le financement politique privé n’est pas réaliste. Mais la Loi électorale du Québec mérite tout de même un tour de vis, notamment pour encadrer la publicité préélectorale qui permet de contourner allègrement les règles du jeu.