Plus jamais ! Après chaque négo, on entend le même refrain. Mais si on veut changer de disque une fois pour toutes, il faut tirer des leçons de la grève de la fonction publique qui a viré au « psychodrame », comme l’a dit le président de la CSQ, au début de la semaine. Même s’il est encore tôt pour faire un bilan, voici déjà cinq pistes de réflexion.

Réparer la démocratie syndicale

La démocratie syndicale ne tourne pas rond.

Dans certaines unités syndicales, les votes qui ont mené à la grève générale illimitée qui a paralysé le Québec ont été obtenus avec des taux de participation faméliques d’à peine 6 %, même si le front commun affirme que le taux moyen oscillait autour de 30 %.

Est-ce que c’est légal ? Oui. Est-ce représentatif de la volonté de l’ensemble des membres ? Non.

Il faut donc se questionner sérieusement sur le travail que les représentants syndicaux ont accompli sur le terrain afin d’encourager leurs membres à voter. Mais en même temps, il faut reconnaître que lorsque le gouvernement force la fusion d’unités syndicales, cela entraîne la création de groupes très larges, couvrant parfois des centaines de kilomètres, ce qui peut éloigner les dirigeants de leur base.

Peu importe : davantage d’efforts s’imposent. Pourquoi ne pas commencer par obliger les syndicats à fournir une option de vote par internet au lieu de forcer les membres à se déplacer ? L’expérience prouve que cela améliore la participation.

Fermer les micros pour réduire la cacophonie

Des baisses d’impôt aux contribuables, des milliards à l’usine de batteries Northvolt, une augmentation de 30 % de la rémunération des députés, sept millions pour deux parties de hockey des Kings à Québec… On ne peut pas dire que la Coalition avenir Québec a mis la table pour des négociations sereines.

Mais les interventions des élus sur la place publique ont aussi causé de l’interférence dans les négociations. S’il est utopique d’imaginer qu’on puisse évacuer complètement la politique des négociations, il faudra se souvenir que c’est en fermant le micro et en laissant les négociateurs effectuer leur travail qu’on est arrivé à des ententes.

Cultiver la confiance en amont

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a aussi mis du sable dans l’engrenage en lançant des forums de discussion au beau milieu des négociations. De tels forums seraient très utiles… mais avant les négos.

En fait, pourquoi ne pas maintenir un dialogue ouvert, en continu et à l’échelle locale, afin d’aplanir le terrain en vue des prochaines négociations ? Comme dans un couple, il ne faut pas juste se parler quand ça va mal !

Ce serait d’autant plus utile que certains sujets (par exemple, comment mieux s’occuper des élèves en difficulté dans les classes) exigent une réflexion complexe qui ne cadre pas nécessairement avec des négociations pour le renouvellement d’un contrat de travail.

Dans des pays comme la Suède, on mise beaucoup plus sur le dialogue que dans notre modèle nord-américain qui repose sur l’adversité. Cela permet d’entretenir des discussions constructives au lieu de cultiver un climat de travail toxique.

Et dans le privé, la médiation préventive permet de discuter des sujets qu’on espère revisiter, pour arriver à la prochaine ronde de négo avec des objectifs qui ne sont pas aux antipodes.

L’arbitrage volontaire

De son côté, l’Ontario a réussi à sortir de la logique de l’affrontement en favorisant un mode de résolution de conflit alternatif. Des syndicats de l’enseignement ont accepté un mécanisme prévoyant que les questions restées en litige, après une période déterminée de négociation, seraient tranchées par un arbitre. Le tout a permis d’éviter la grève.

Cela se fait dans le privé au Québec. Mais au public, ça bloque.

Certains craignent de remettre leur destinée entre les mains d’un tiers. Ils redoutent qu’en escamotant les négociations, on laisse les problèmes s’amplifier au fil des ans.

Mais justement, la menace qu’un arbitre tranche à leur place pousse les deux parties à trouver elles-mêmes des solutions, en imposant une échéance qui rend les négociations plus productives.

Et lorsque l’arbitre doit trancher, il ne le fait pas de manière désincarnée, mais plutôt en s’inspirant de l’évolution des négociations et en faisant des comparaisons avec ce qui s’est fait dans le passé et ailleurs.

Des services essentiels en éducation

Il est clair que les syndiqués ont le droit de faire la grève. C’est un droit fondamental reconnu par la Charte canadienne.

Mais le conflit de travail qui a fait perdre un mois d’école à certains enfants nous force à nous demander jusqu’à quel point l’éducation devrait être considérée comme un service essentiel.

Ça devrait certainement être le cas pour les jeunes lourdement handicapés qui fréquentent des classes spécialisées en réadaptation. Les conséquences d’une interruption de service sont particulièrement graves pour eux. Cela peut mener à une véritable régression, voire à des comportements agressifs.

Pour eux, ce n’est pas seulement une question d’éducation, mais une question de soins. Et que dire des milliers d’enfants défavorisés qui ont perdu l’accès aux repas gratuits livrés à l’école ?

En France, les écoles offrent un service minimal lors des grèves. Pourquoi pas chez nous ?

La position de La Presse

Les grèves qui ont paralysé le Québec démontrent que le régime de négociation des conventions collectives du secteur public mérite d’être modernisé, même si beaucoup ont peur d’ouvrir une boîte de Pandore.