C’est arrivé le 16 juin dernier juste avant 15 h. La population canadienne a franchi le cap des 40 millions d’habitants. Certains y ont vu une belle occasion de célébrer, à l’approche de la fête du Canada… mais pas ceux pour qui le 1er juillet est plutôt synonyme de déménagement.

Plus la population augmente, plus la crise du logement s’aggrave. Une équation simple que le gouvernement fédéral ne semble malheureusement pas avoir considérée lorsqu’il a ouvert les vannes de l’immigration.

En 2022, le nombre de Canadiens a augmenté de plus d’un million, pour la première fois de son histoire, un phénomène essentiellement attribuable à l’immigration. En fait, la population a grimpé de 2,7 %, son rythme le plus élevé depuis 1957 (+ 3,3 %).

Et ça se poursuit en 2023.

Sauf que l’industrie de la construction est très loin de suffire à la demande. Actuellement, il n’y a qu’une mise en chantier pour 4,2 personnes qui entrent dans la population active, par rapport à un ratio historique de 1,8, calcule l’économiste de la Banque Nationale Stéfane Marion.

Ottawa a certainement des calculs à refaire pour s’assurer que nos seuils d’immigration sont compatibles avec notre capacité à loger les nouveaux arrivants.

Il faut prendre garde au ressac dans l’opinion publique qui change rapidement. Plus de la moitié des Canadiens (53 %) jugent que le pays devrait accepter moins d’immigrants, selon un sondage Nanos réalisé en septembre, une hausse très significative par rapport à 34 % en mars dernier1.

On ne voudrait surtout pas se retrouver dans une situation où les immigrants se font accuser d’être des voleurs de maison, comme certains les accusaient d’être des voleurs de « job » à l’époque où le taux de chômage était élevé.

Pourtant, si on regarde la situation d’un autre œil, les immigrants peuvent faire partie de la solution à la crise du logement. Il suffit de mieux les intégrer dans l’industrie de la construction, où il manque 12 000 travailleurs (environ 4 % du total) au Québec.

Les immigrants demeurent largement sous-représentés dans cette industrie très homogène. Ils ne forment que 8 % de la main-d’œuvre. Toutes proportions gardées, c’est deux à trois fois moins que dans des secteurs comme le transport et l’entreposage (23 %), l’hébergement et la restauration (18 %), les finances, l’assurance et les services professionnels (18 %) ou encore les soins de santé (17 %) 2.

Qu’est-ce qui accroche ?

Pendant des années, les programmes d’immigration ont boudé les travailleurs de la construction, en se concentrant sur les détenteurs de diplômes universitaires. Heureusement, la grille d’évaluation a changé. Désormais, on accorde davantage de points aux travailleurs qui ont en poche une offre d’emploi validée.

Sauf que pour avoir un emploi, il faut avoir des cartes de compétence. Et là, bonne chance pour les immigrants ! Le processus de reconnaissance des acquis est particulièrement rigide et opaque dans la construction. Une vraie course à obstacles.

Le parcours n’est pas plus simple pour le recrutement de travailleurs étrangers temporaires. C’est ainsi que le Québec a accueilli à peine 1,2 % des 8548 travailleurs étrangers temporaires qui sont venus prêter main-forte à la construction au Canada, selon les calculs de l’Association de la construction du Québec (ACQ).

Quel est le problème ?

Les employeurs se plaignent qu’ils doivent embaucher les travailleurs pour deux ans, alors que leur industrie est saisonnière. Ils expliquent que le processus de recrutement est long et dispendieux et que les travailleurs ne peuvent pas toujours travailler dès leur arrivée, à cause des règles de la Commission de la construction du Québec (CCQ), qui ne dit pas à l’avance lorsqu’elle ouvrira les portes aux bassins de travailleurs.

Il faut travailler là-dessus.

Mais d’abord et avant tout, il faut valoriser les compétences des travailleurs potentiels qui vivent déjà chez nous, qui sont intéressés par la construction, mais qui n’arrivent pas à faire reconnaître leurs compétences.

C’est particulièrement difficile pour des réfugiés qui ne débarquent pas avec leur diplôme en poche et qui ne peuvent pas demander à leur ancien employeur de confirmer le nombre d’heures d’expérience.

Si leurs compétences ne sont pas reconnues, les travailleurs doivent s’inscrire à un diplôme d’études professionnelles (DEP). Or, les établissements scolaires offrent très peu de parcours permettant de combiner le travail et les études, ce qui freine les immigrants qui doivent gagner leur vie.

À quand des formations de type « dual » misant sur la collaboration école-employeur comme on le voit dans le secteur manufacturier ?

À quand des formations directement sur les chantiers où les travailleurs peuvent gagner leur vie tout en accumulant les heures nécessaires à l’obtention de leur carte ?

À quand des ententes de reconnaissance de compétences avec d’autres pays, comme cela se fait avec la France depuis 2009 ?

Avec 1,2 million de logements à construire d’ici la fin de la décennie, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le Québec ne peut pas se priver des talents qui lui pendent au bout du nez.

La position de La Presse

Si on intégrait mieux les immigrants dans l’industrie de la construction, où ils sont largement sous-représentés, ils pourraient faire partie de la solution à la crise du logement.

1. Consultez les résultats du sondage national Nanos Canadians prefer that Canada accepts fewer immigrants and international students than what is projected for 2023 (en anglais) 2. Consultez le bulletin d’information de l’Institut de la statistique du Québec