(Québec) Les droits de scolarité seront revus à la hausse pour les étudiants venus de l’étranger ou des autres provinces canadiennes qui fréquentent une université anglophone. Et une loi forcera les plateformes numériques comme Spotify et Netflix à donner plus de place au contenu québécois.

Un peu plus d’une semaine après avoir perdu son siège de Jean-Talon aux mains du Parti québécois, le gouvernement Legault passe à l’attaque sur le front linguistique.

En entrevue avec La Presse, le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, ouvre son jeu sur son plan d’action dont le dépôt est prévu à la mi-novembre. C’est le fruit, très attendu, du groupe d’action pour l’avenir de la langue française formé en janvier et réunissant six ministres.

Président du groupe, Jean-François Roberge multiplie les superlatifs pour qualifier cette « offensive tous azimuts » qui va « marquer les esprits et ramener la confiance ».

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Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

On est tannés de gérer le déclin, de protéger la langue, de freiner l’érosion de la langue, ce sont tous des termes défensifs. C’est le temps de regagner du terrain.

Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

Pour y arriver, le plan d’action comprendra une cinquantaine de mesures qui s’ajoutent aux dispositions de la réforme de la loi 101 adoptée l’an dernier (projet de loi 96).

Rééquilibrer le réseau universitaire

Parmi ces mesures, le gouvernement Legault augmentera les droits de scolarité des étudiants étrangers et des autres provinces canadiennes qui décident de fréquenter une université anglophone. Il sera donc plus coûteux pour cette clientèle, très courtisée, d’étudier en anglais plutôt qu’en français.

« On va y aller avec des moyens costauds pour rééquilibrer notre réseau universitaire. Car il y a un grand déséquilibre entre les réseaux francophone et anglophone », explique Jean-François Roberge.

Le ministre relève que 80 % des étudiants québécois fréquentent une université francophone, mais qu’il en va tout autrement chez « les étudiants non québécois ». « Que ce soient des Canadiens ou des internationaux, c’est à peu près 50 % dans le réseau francophone et 50 % dans le réseau anglophone. On voit qu’il y a une grande disparité entre le comportement linguistique des étudiants québécois et le comportement linguistique des étudiants non québécois. »

Quelque 32 000 étudiants provenant de l’étranger et des autres provinces canadiennes fréquentent les universités McGill, Concordia ou Bishop’s, indique M. Roberge.

« C’est beaucoup de personnes qui viennent au Québec, qui fréquentent une université anglophone et qui bien souvent s’expriment en anglais au quotidien, dit-il. Si on veut changer le profil linguistique de Montréal, arrêter le déclin à Montréal, il faut s’intéresser à la question du rééquilibrage des réseaux universitaires. »

La Presse a publié récemment un dossier sur la bataille que se livrent les universités pour recruter des étudiants étrangers. Avec 25 % de la population étudiante du Québec, les trois universités anglophones attirent 38 % des étudiants étrangers.

Lisez notre dossier sur les étudiants étrangers

La ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, présentera les détails de la hausse des droits de scolarité vendredi. Elle prépare également une nouvelle politique de financement des universités. Québec a l’intention de soutenir davantage les établissements francophones.

À l’heure actuelle, un étudiant provenant d’une autre province canadienne paie environ 9000 $ par année en droits de scolarité. Ces frais s’élèvent à plus de 27 000 $ pour un étudiant étranger, sauf pour un Français et un Belge qui essuient la même facture qu’un Canadien hors Québec (9000 $).

Les droits de scolarité d’un étudiant québécois se chiffrent à 2880 $ par an.

Mettre le contenu québécois de l’avant

Un autre « changement majeur » touchera l’industrie culturelle. Québec déposera une loi pour forcer les plateformes numériques à mettre de l’avant le contenu francophone et québécois.

C’était en réflexion depuis quelques mois, mais le gouvernement n’avait pas tranché à ce jour. C’est maintenant chose faite.

Le gouvernement « va aller aussi loin que les champs de compétence, les lois et la fiscalité » lui permettent de faire, signale Jean-François Roberge.

Ottawa a adopté l’an dernier la Loi sur la diffusion continue en ligne (projet de loi C-11) qui oblige les géants du numérique à contribuer au contenu canadien et à le promouvoir. Québec avait tenté sans succès d’y ajouter des mesures pour faire reconnaître la spécificité culturelle québécoise, comme un mécanisme de consultation obligatoire du Québec dans les règles du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Le gouvernement Legault ajoutera ses propres mesures, un geste que le Québec est en droit de faire, selon des experts et des constitutionnalistes consultés dans les derniers mois.

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Sur les plateformes numériques, « il faut changer la donne complètement », affirme le ministre Jean-Francois Roberge.

« En ce moment, il n’y a pas de régulation, de balises » imposées aux plateformes numériques. « Le gouvernement du Québec n’influe en rien sur ce qui se passe d’un point de vue de culture numérique », déplore Jean-François Roberge.

Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, corrigera la situation avec le dépôt d’un projet de loi.

En 2004, donc avant l’avènement des plateformes numériques de diffusion en continu, « 77,5 % des Québécois disaient écouter la musique soit en français seulement ou à égalité français et anglais », souligne le ministre. « En 2022, la consommation de musique sur Spotify n’était qu’à 8 % québécoise sur le territoire québécois. 8 % ! Et on sait que nos 12-30 ans sont beaucoup sur Spotify pour écouter la musique, c’est assez rare qu’ils allument la radio. Il faut changer la donne complètement. »

L’accès au contenu québécois doit être facilité. « En ce moment, quand on ouvre une plateforme numérique comme Spotify, à moins que l’on ait vraiment demandé autre chose, c’est de la musique qui relève de la culture anglo-saxonne », explique M. Roberge

Il n’est pas question de bannir ou d’interdire quoi que ce soit. Ce qu’on voudrait, c’est que ce qui est québécois soit beaucoup plus visible et accessible.

Jean-François Roberge, ministre de la Langue française

La même obligation d’une « plus grande visibilité » pour le contenu québécois et francophone sera imposée aux Netflix, Disney+ et autres Amazon Prime. « Après ça, les Québécois sélectionneront ce qu’ils veulent » comme musique, film ou série.

Comme l’a indiqué récemment à La Presse la ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, Québec entend imposer de nouvelles exigences linguistiques aux immigrants temporaires, comme les travailleurs et les étudiants étrangers, pour éviter que leur nombre croissant contribue à l’anglicisation du Québec. Elles s’ajouteront aux mesures dévoilées en juin et touchant l’immigration permanente. Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, est en train de revoir le programme d’enseignement du français au primaire et au secondaire.

Pour Jean-François Roberge, les mesures du plan d’action, jumelées à la révision récente de la loi 101, permettront non seulement de freiner le déclin du français, mais « d’inverser la tendance ». D’ici combien de temps ? « Ça va prendre des années avant de récolter le fruit de tout ça », reconnaît-il.