(Québec) Un virage plus nationaliste se profile chez les libéraux, une opération tentée mais abandonnée dans les dernières années en raison de dissensions internes.

Le comité sur la relance du Parti libéral du Québec (PLQ) ramène le projet d’une Constitution québécoise, recommande d’obtenir d’Ottawa le contrôle de l’immigration temporaire et propose de transformer le Sénat en Chambre des provinces.

Sans renier son histoire et ses valeurs, « le Parti libéral du Québec doit mettre de l’avant un nationalisme audacieux, inclusif et rassembleur », écrit le comité dans son rapport, que La Presse a obtenu et qui sera rendu public ce jeudi. Il y présente surtout un « projet d’affirmation » du Québec.

Les députés ont pris connaissance mercredi après-midi de ce document de 80 pages intitulé S’affirmer, rassembler, prospérer : Un projet libéral pour tous les Québécois.

Formé en mars, cinq mois après la débâcle électorale du PLQ, le comité avait pour mandat de consulter les militants, délaissés dans les dernières années, et de proposer des « pistes de réflexion » pour reconstruire le parti et « reconnecter » avec les Québécois – pas seulement la majorité francophone, insiste-t-il.

Ses coprésidents sont André Pratte, ex-sénateur et ancien éditorialiste à La Presse, et la députée Madwa-Nika Cadet.

« L’approche libérale pour rassembler les Québécois repose sur quatre piliers : le français comme ciment de l’identité québécoise et de la cohésion sociale, l’interculturalisme comme modèle d’intégration et de vivre-ensemble, la laïcité libérale pluraliste et la recherche de partenariats avec les Premières Nations et les Inuit », résume-t-il.

« Pacifier le débat »

Le comité croit que le PLQ devrait envisager l’adoption d’une loi sur l’interculturalisme – par opposition au multiculturalisme canadien – comme modèle d’intégration des nouveaux arrivants et d’aménagement de la diversité culturelle. « Afin de pacifier le débat », il recommande de créer un comité d’experts indépendants chargé de mesurer la capacité d’accueil du Québec, en amont de l’élaboration des seuils d’immigration.

« Il est vrai qu’il existe de nos jours au Québec une préoccupation légitime quant à l’avenir de la langue et de la culture françaises. Nous n’éludons pas ce constat et nous proposons ici des pistes de réflexion ancrées dans l’héritage libéral et visant à rassembler tous les citoyens autour de l’identité québécoise », explique-t-il.

Dans la même veine, le comité suggère une « réforme en profondeur de l’enseignement du français » et des « mesures fortes » pour inciter les entreprises à « intensifier la présence du français dans leurs milieux de travail ».

Selon le comité, « l’utilisation de lois bafouant les droits des Québécois, de même que l’hostilité exprimée par certains politiciens envers l’immigration, sont invariablement décrites comme nuisibles à la protection du français » chez les militants libéraux. C’est une allusion au gouvernement Legault.

Quel nationalisme ?

Le comité conclut que les militants « sont fiers des valeurs » libérales et qu’il ne faut pas « laisser tomber ces principes par opportunisme ou populisme ». Le PLQ « demeure le seul parti authentiquement fédéraliste à l’Assemblée nationale ». Mais il est aussi un « parti nationaliste » et il doit le démontrer, plaide le comité.

En mai, lors d’un conseil général du PLQ, des nationalistes disaient publiquement manquer d’air au sein de la formation, ce qui avait créé des remous. Un jeune militant avait utilisé une formule-choc : « Être nationaliste au PLQ, c’est comme être un péquiste dans D’Arcy-McGee », une circonscription du « West Island ».

Lors des consultations auprès des militants, « si certains pouvaient être réticents à se dire nationalistes parce qu’ils considèrent que ce concept s’oppose à la diversité, ce n’était pas le cas de la grande majorité des participants qui se sont exprimés sur ce thème », selon le comité. « Pour eux, le nationalisme inclusif libéral, ainsi que son corollaire l’interculturalisme, permet de réconcilier la défense des droits et libertés individuelles et l’affirmation de la spécificité du Québec. Plusieurs nous ont aussi enjoints à nous réapproprier et à mettre de l’avant les emblèmes et les expressions de l’identité québécoise, tels le Fleurdelisé et la fête nationale. »

Il n’y a pas de rupture avec le credo traditionnel du PLQ dans le rapport du comité. « Nous devons être fiers d’être Québécois, fiers d’être Canadiens, et continuer de donner la priorité à la défense et à la promotion des intérêts du Québec au sein de la fédération canadienne », résume-t-il. Et il insiste : « le Parti libéral du Québec a toujours défendu et continuera de défendre bec et ongles les intérêts du Québec, d’abord et avant tout ».

Pour le comité, le Québec doit aujourd’hui relever trois défis « s’il veut s’affirmer » : « la lutte contre le repli économique et social, le maintien de son poids politique au Canada et le bon usage des leviers que procure le fédéralisme canadien ». Son « projet d’affirmation » vise à y répondre.

Le comité recommande ainsi de faire des gains en marge de la Constitution canadienne et de modifier le texte fondateur du pays. Il ne faut pas « craindre les tensions avec le fédéral, sans pour autant chercher à les exacerber », selon lui.

Constitution

Le comité présente comme un « geste fort d’affirmation nationale » l’adoption d’une Constitution québécoise. « Elle constituerait une assise indispensable en vue d’assurer la vitalité culturelle et linguistique du Québec, et son poids politique », sans impliquer « d’affrontement avec le gouvernement fédéral ou les autres provinces ».

Ce document « devrait affirmer l’existence du Québec comme nation au sein de la fédération canadienne, le statut du français comme langue officielle et langue commune, les droits et libertés fondamentales des Québécois et l’apport des communautés culturelles. Les droits existants de la communauté anglophone à des services d’éducation et de santé en anglais et au contrôle de leurs institutions devraient être clairement reconnus dans la Constitution québécoise. Celle-ci devrait aussi reconnaître les droits des Premières Nations du Québec et des Inuit. »

Sous Dominique Anglade, le PLQ avait flirté avec l’idée de proposer une Constitution québécoise. L’ex-cheffe libérale avait également proposé une loi sur l’interculturalisme. On faisait le constat que le parti n’avait pas été assez nationaliste sous Philippe Couillard. Or, des dissensions internes avaient mené à l’abandon de ces idées.

Au cours des dernières années, on a signalé que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, planche sur une Constitution du Québec. C’est un projet dans l’air depuis des décennies.

Négociations avec Ottawa

Pour le comité, un gouvernement libéral devrait « travailler avec Ottawa pour clarifier l’accord » Gagnon-Tremblay-McDougall « de manière à étendre la compétence du gouvernement du Québec à l’admission de l’ensemble des travailleurs étrangers temporaires ».

Le comité suggère aussi de négocier avec Ottawa pour instaurer une déclaration de revenus unique.

Ce serait un « travail de longue haleine, d’autant qu’il y a fort peu d’appétit » au pays sur le sujet, mais le Québec devrait proposer de rouvrir la Constitution canadienne pour réformer le Sénat.

La Chambre haute devrait devenir une Chambre des provinces « où siégeraient des représentants des Parlements provinciaux et territoriaux, de sorte que les provinces et les territoires participent directement au processus législatif fédéral et à l’administration de la fédération canadienne. Cette Chambre devrait inclure des représentants des Premières Nations et des Inuit. »

« En accordant au Québec un nombre de sièges qui reflète son poids démographique historique (le seuil de 25 % serait le minimum acceptable), elle maintiendrait, voire renforcerait, le statut du Québec et l’influence dont il jouit sur l’organisation et la gouvernance de la fédération canadienne », fait valoir le comité.

S’il devait y avoir des négociations constitutionnelles un jour, le PLQ exigerait d’autres changements, à savoir « les revendications traditionnelles du Québec » de l’accord avorté du lac Meech.

Le comité sur la relance du PLQ présentera son rapport aux militants libéraux samedi, lors du conseil général du parti. Ce rassemblement servira à fixer les règles de la course à la direction et la date du congrès.

41 « pistes de réflexion »

Le comité propose 41 pistes de réflexion, dont :

  • Adopter une loi sur la protection contre l’inflation et sur l’accessibilité au logement
  • Envisager sérieusement l’instauration d’un nouveau mode de scrutin – préférentiel et non proportionnel
  • Augmenter le financement des écoles et valoriser le rôle des enseignants
  • Promouvoir l’idée d’un revenu minimum d’activité que le gouvernement du Québec verserait à toute personne dont le revenu est inférieur à un seuil prédéterminé
  • Tenir un sommet sur l’avenir économique, social et environnemental du Québec
  • Inscrire le droit à un environnement sain parmi les droits fondamentaux de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne
  • Autoriser tout projet d’exploitation des ressources naturelles à la condition qu’il s’inscrive dans une stratégie gouvernementale ou qu’il contribue à l’atteinte des cibles environnementales du Québec
  • Mettre en place une véritable stratégie industrielle nationale comprenant la transition écologique et l’intelligence artificielle
  • Faire la promotion de nouveaux traités de libre-échange avec les pays d’Asie et d’Afrique
  • Créer des instances autonomes pour chacune des régions responsables d’élaborer un plan régional de développement économique et social
  • Mettre en chantier un changement de culture dans la fonction publique, en collaboration avec les organisations syndicales, afin de « mettre plus que jamais l’État québécois au service des gens »
  • Réformer le marché du travail pour s’attaquer à la pénurie de main-d’œuvre, par exemple en défiscalisant les heures supplémentaires et en rendant remboursable le crédit d’impôt aux aînés qui prolongent leur carrière