Le pompier Claude Couette a connu la «guerre». C'est dans ces mots qu'il décrit sa nuit du 6 juillet 2013 et les jours qui ont suivi le déraillement et l'explosion d'un train à Lac-Mégantic. Coincé dans sa caserne tout près du brasier alors que la porte refusait de s'ouvrir, une pensée l'obsédait: «Je ne peux pas mourir, demain je dois être à la maison pour la fête de ma fille.» Il est aujourd'hui persuadé que c'est ce sentiment qui est à l'origine de son stress post-traumatique.

M. Couette est l'un des quatre ou cinq pompiers qui ont dû prendre un arrêt de travail depuis la tragédie. «Je me sentais à la guerre, mais sans fusil [...] j'ai vraiment eu peur», se rappelle-t-il. La nuit du 6 juillet, lorsqu'il a finalement réussi à sortir du poste de pompiers, il a enchaîné 23 heures de travail. Au fil des mois, le stress l'a rattrapé.

«J'étais devenu agressif, j'avais des pertes de mémoire. J'étais violent, je pleurais pour rien, je me fâchais pour rien, mais je me disais que c'était parce que j'étais fatigué», dit le pompier.

Alors que la crise était à son comble, en juillet 2013, 350 intervenants psychosociaux ont été déployés sur le terrain. Ils sont maintenant une quinzaine. Depuis le 6 juillet, 423 citoyens ont été suivis ou le sont toujours par les services psychosociaux de rétablissement du Centre de santé et des services sociaux (CSSS) du Granit.

Encore aujourd'hui, le CSSS reçoit de cinq à sept demandes de suivi par semaine. Après une légère baisse pendant la période de Noël, les demandes ont doublé depuis le mois de mai, à l'approche de la date d'anniversaire de la tragédie.

Interventions ciblées

En octobre dernier, après le suicide d'un pompier apprenti qui était en uniforme le 6 juillet, le CSSS avait dû intensifier ses interventions psychosociales sur le terrain, redoutant un effet d'entraînement.

«On a rappelé tous les pompiers et on a repris les mesures d'urgence», souligne Céline Larin, coordonnatrice administrative des services psychosociaux de rétablissement du CSSS du Granit.

Depuis quelques semaines, Mme Larin a de nouveau augmenté ses effectifs pour pallier la recrudescence des cas de détresse psychologique. Tout au long du week-end, plusieurs travailleurs sociaux arpenteront les rues de la ville, portant un dossard blanc pour offrir leur aide à tous les citoyens.

Hier, quatre intervenants ont dû se rendre dans un centre de personnes âgées à un jet de pierre de la zone sinistrée, car une douzaine de personnes étaient en pleurs et en proie à la panique.

Parmi les personnes venues chercher de l'aide depuis un an, environ 80% souffrent de symptômes de stress post-traumatique. «Les gens ont été perturbés par les éclats de lumière, les boules de feu, les sirènes, le crissement du déraillement et les odeurs», dit Mme Larin.

La vue d'un coucher de soleil est devenue insupportable pour certaines personnes. Des orages ou le sifflement d'un train ont récemment déclenché des crises chez d'autres. «Ça peut arriver n'importe quand et je pense que ça peut arriver ce week-end», poursuit Mme Larin.

Vies chamboulées

La vie du lieutenant Couette a basculé six mois après le drame. C'est un psychologue qui lui a «ouvert les yeux». Après six mois de repos et de traitement, il vient tout juste de retourner au travail. «J'ai encore des pertes de mémoire et des problèmes de concentration. Je le sais que je ne suis plus celui que j'étais, et je pense que je ne redeviendrai jamais celui que j'étais», croit-il.

Parmi les personnes suivies, on compte plusieurs commerçants situés dans la zone sinistrée, pour qui l'attente et l'angoisse devant l'avenir deviennent de plus en plus insupportables.

D'autres commerçants souffrent de stress de compassion. Ils sont serveurs, coiffeurs, chauffeurs de taxi, esthéticiennes et ils travaillent avec le public. Depuis un an, ils ont absorbé les histoires des Méganticois.

«Même les intervenants aguerris peuvent manifester des symptômes de stress post-traumatique comme s'ils avaient vécu eux-mêmes les événements», explique Mme Larin.

Jusqu'à tout récemment, Isabelle Hallé n'était pas prête à recevoir l'aide des intervenants. Elle se trouvait au Musi-Café le soir du drame et est partie une vingtaine de minutes avant le déraillement parce qu'une amie avait renversé une bière sur sa robe.

«On y pense toujours, on se demande pourquoi un détail anodin a des répercussions aussi importantes», soupire-t-elle. Elle a brièvement consulté, puis a préféré trouver refuge dans le travail en assumant ses fonctions de directrice générale de la chambre de commerce de la région de Mégantic et en devenant candidate pour le Parti québécois aux dernières élections.

«Je ne suis pas prête, je me suis concentrée sur mon travail et non sur ce qui m'habite, mais ce week-end, ça fera partie d'une étape du deuil, et je vais essayer d'y penser maintenant.»