L'entrepreneur Normand Pedneault a éclaté en sanglots aujourd'hui à la Commission Charbonneau en racontant un épisode où ses frères Benoit et Daniel se sont fait passer à tabac sur un chantier de la Côte-Nord par des fiers-à-bras qu'il a associés à la FTQ-Construction.

« Ils ont une fierté qui a été brisée en dedans d'eux », a-t-il douloureusement relaté. « Ce sont des travailleurs de la construction, ce ne sont pas des mauviettes! Le lendemain, ils ne voulaient même pas nous montrer leurs ecchymoses. Même aujourd'hui, ils refusent d'en parler. »

Cette affaire s'est produite le 14 novembre 2005 sur le chantier Longue-Rive, où l'entreprise de Normand Pedneault avait remporté un contrat du ministère des Transports du Québec pour le remplacement d'urgence d'un ponceau.

La raison de cette attaque: il avait embauché des travailleurs de la FTQ-Construction, mais pas ceux de la région «référencés » par le syndicat.

La veille, Normand Pedneault aurait reçu un appel d'«avertissement» de la part de Michel Bezeau, représentant du local 791 des AMI (manoeuvres Inter-Provinciaux), affilié à la FTQ-Construction. « Si vous ne changez rien, il va neiger, la tempête va passer », aurait-il menacé.

Normand Pedneault n'était pas dans la région le jour de l'attaque. Ses frères, qui sont chargés de projet, dirigeaient les travaux. Après l'appel, Pedneault a averti la SQ et ses frères.

Entre 40 et 50 hommes se sont présentés sur le chantier. Les employés des Pedneault ont encerclé la machinerie, afin de la protéger du vandalisme. Ils se sont fait sortir à coups de « claques » et de « coups de pieds », a témoigné Pedneault.

Une quinzaine d'hommes s'est ensuite dirigée dans la roulotte où se trouvaient ses frères.

«Ils étaient accotés dans le coin. Un homme de 300 livres, qui empestait le fond de tonne a brandi son poing à six pouces de la face de mon frère », a-t-il relaté. « Il a dit : tu n'as pas écouté ce qu'on a dit. Si t'as des enfants, on va s'en occuper. »

Ils ont été « molestés » a déclaré Pedneault, qui associe cette affaire à la « gang » du dirigeant syndical Bernard « Rambo » Gautier et de son collègue Michel Bezeau. « Ce n'est pas les gens de la Côte-Nord qui sont le problème c'est une petite gang de pourris qui veulent garder le contrôle », a-t-il conclu avant la pause du dîner.

Normand Pedneault est le PDG de l'entreprise Paul Pedneault, une compagnie du Saguenay qui soumissionne exclusivement sur des contrats publics dans le domaine du génie civil (trottoirs, structures, ponts et viaducs).

Le ministre Lessard prévenu

Les trois frères ont effectué des dépositions à la SQ à la suite de cette affaire, mais aucune accusation n'a été portée. Les deux frères n'ont pas identifié de dirigeants syndicaux sur la scène, uniquement un ouvrier de la FTQ-Construction qui avait été congédié du chantier.

Lors d'un cocktail de l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec, il a « brièvement » fait part du « brassage » et de l' « intimidation » au ministre du Travail de l'époque, Laurent Lessard. Il lui demande s'il aura des mesures de prises pour augmenter la sécurité. « Je ne dis pas que j'ai eu d'écoute, mais il n'a pas cru bon d'élaborer sur le sujet. »

L'ex-ministre Lessard n'a fait aucun suivi sur cette affaire.

Pedneault a aussi raconté son histoire à des journalistes locaux de la station TVA. La FTQ-Construction a répliqué avec une mise en demeure, lui demandant de rétracter ses propos.

Le MTQ était au courant

L'avocat du procureur général du Québec a déposé à la commission aujourd'hui, des documents montrant que le ministère des Transports avait aussi été informé de cette affaire. Des extraits du journal de chantier d'un employé de la compagnie Roche, embauché pour représenter le MTQ, font état d'une intervention « musclée » d'une dizaine d'hommes. L'employé de Roche relate avoir été témoin de « lancement de projectiles » sur les équipements de l'entrepreneur.

Dans une lettre adressée au MTQ le 14 décembre 2005, Pedneault inc demande des délais supplémentaires pour terminer le chantier, citant notamment l'épisode de brasse-camarade.

Dans une autre missive, le MTQ répond: « notre surveillant a en effet été témoin de cet épisode hors du commun et inacceptable, mais il est impossible de considérer cette raison comme valable. »

« L'effet Côte-Nord »

Avant de raconter cette histoire bouleversante, l'entrepreneur a étalé d'autres cas d'intimidation et de harcèlement syndical survenus sur la Côte-Nord.

Selon Pedneault, qui est à la barre depuis ce matin, «l'effet Côte-Nord» a un impact bien réel sur le coût de réalisation des travaux publics dans la région. «La convention collective s'arrête à Baie-Comeau. Après elle n'est pas écrite, tu la discutes», a-t-il témoigné ce matin. «Quand on va sur la Côte-Nord, on sait que ça va coûter plus cher», a-t-il ajouté. « Ce n'est pas notre premier choix.»

L'entrepreneur affirme avoir connu son premier épisode de harcèlement syndical à Sept-Îles en 1997, alors qu'il dirigeait le chantier d'une station de pompage. Il avait fait venir ses employés réguliers pour réaliser les travaux, un geste que le « comité de chômeurs » du secteur n'avait pas digéré.

«Le soir, les gars ne pouvaient pas aller loger dans les hôtels, ils allaient dans les pensions, ils se faisaient trop écoeurer», a-t-il relaté.

Devant la pression, Pedneault avait fini par embaucher des travailleurs de Sept-Îles en sous-traitance. Il ne se souvient toutefois pas si un syndicat en particulier était derrière cette campagne de chantage.

Bezeau et Rambo : les rois de la Côte-Nord

L'entreprise de Pedneault a remporté quatre contrats sur la Côte-Nord en 2005.

Lors d'un contrat de réfection du pont sur la rivière Magpie, il reçoit la visite du syndicaliste Michel Bezeau, de la FTQ. Ce dernier était mécontent du fait que l'un des travailleurs était affilié à la CSN et non à la FTQ. « Ç'a brassé fort », se souvient le témoin.

Au printemps 2005, il contacte le dirigeant syndical Bernard « Rambo » Gautier pour lui dire qu'il veut embaucher des ouvriers de la région pour la réalisation d'un contrat de trottoirs. Ne faisant pas affaire avec ses propres travailleurs expérimentés, il a été obligé de doubler la quantité de main d'oeuvre.

On lui a aussi imposé un opérateur de pelle qui vivait à 100km du chantier et qui devait être formé pour opérer la machinerie, en plus de payer son transport. «Rambo m'a dit: c'est nous autres qui placent les gars icitte», dit Pedneault.

À trois reprises, des ouvriers ont mis un antigel dans le réservoir à essence. « C'est sûr que c'était intentionnel », pense-t-il.

Résultat des manigances syndicales: «Ç'a fait en sorte que sur un contrat où l'on pensait faire 100 000 $, on a perdu 100 000 $.»

Selon le témoin: « Bezeau et Rambo, ils runnent toute dans le coin »

Rambo bientôt à la CEIC

Normand Pedneault n'est pas le premier témoin de la commission à faire état du climat de peur qui régnait sur la Côte-Nord.

Hier, l'entrepreneur Rock Savard, PDG de l'entreprise Construction J & R, a raconté à la commission Charbonneau un épisode de brasse-camarade qui visait à lui faire comprendre que ses ouvriers venus du Saguenay-Lac-Saint-Jean n'étaient pas les bienvenus dans la région.

La semaine dernière, l'enquêteur de la commission, Michel Comeau, a expliqué à quel point il pouvait être pénible pour des travailleurs et entrepreneurs de l'extérieur de la Côte-Nord d'y travailler. Un entrepreneur a raconté avoir été passé à tabac devant 40 personnes après avoir été congédié par cinq employeurs de la FTQ-Construction.

La table est donc mise pour la venue de Bernard « Rambo » Gautier, qui pourrait venir témoigner sous peu, vraisemblablement la semaine prochaine.