Elle a été retrouvée vêtue de son uniforme. Un symbole fort. Cette paramédicale qui avait secouru les blessés lors de l'attentat terroriste à la mosquée de Québec, en 2017, s'est donné la mort récemment. Ses proches, selon qui elle souffrait de stress post-traumatique, réclament une aide psychologique accrue pour ses collègues, dont le travail peut laisser des marques indélébiles sur l'âme.

« La mosquée, ce n'est pas le seul facteur. Mais c'est un des facteurs qui a déclenché ça : le stress post-traumatique », croit Lucie Roy.

En entrevue téléphonique avec La Presse hier, la résidante des Îles-de-la-Madeleine est revenue sur la mort de sa fille Andréanne Leblanc, qui avait pris la peine de revêtir son uniforme, même si elle était en arrêt de travail, avant de commettre l'irréparable.

« Pour moi et pour son frère, c'est un message très important qu'elle livrait. Oui, elle était fière de porter l'uniforme. C'était une façon d'honorer sa profession. Mais en même temps, il y avait un message de détresse, parce que les conditions des paramédicaux sont difficiles », affirme Mme Roy.

« Ils sauvent des vies, mais ce sont aussi des personnes humaines. Ils auraient peut-être besoin de plus de suivi après des événements comme ça. »

Sauver des vies

Andréanne Leblanc a grandi aux Îles-de-la-Madeleine, qu'elle a quittées à 16 ans pour aller étudier sur le continent. Elle a tâté des sciences à l'université avant de partir à Montréal suivre sa formation en soins préhospitaliers d'urgence. « Ce qu'elle voulait, c'était sauver des vies », raconte sa mère.

Elle a travaillé un temps à Pointe-à-la-Croix, en Gaspésie, avant d'accepter un emploi à Québec. « Elle voulait plus d'action, elle en a eu », raconte son ami André Tremblay-Roy, qui travaillait avec elle en Gaspésie.

« J'ai eu des discussions avec elle. Ayant moi-même déjà passé un bout rough, je lui disais : "Protège-toi, sois aux aguets." C'était une jeune femme pétillante, souriante, idéaliste, qui voulait faire avancer les choses », dit-il.

Comme d'autres de ses collègues, Andréanne Leblanc est intervenue dans des conditions d'extrême urgence, le 29 janvier 2017, lorsqu'un attentat a fait six morts et cinq blessés graves dans la Grande Mosquée de Québec. Sur le coup, elle n'a pas mentionné que ça avait été particulièrement difficile. « Elle m'a dit qu'elle était intervenue, sans trop de détails, et qu'elle avait eu un débreffage », dit sa mère.

« Je l'ai su beaucoup plus tard, que ça avait été difficile pour elle. En janvier dernier, [au moment de l'anniversaire du drame], quand c'était beaucoup dans les médias, elle a dit : "Moi je n'écouterai pas ça, c'est sûr", en parlant des témoignages de blessés et de survivants. »

Ce n'est pas la seule intervention que l'énergique paramédicale avait trouvée difficile. Elle en avait cité d'autres, à des proches.

Hantée par ses souvenirs

Sa mère a constaté que son état se détériorait. Le travail n'en était pas la seule cause. Des défis dans sa vie personnelle ont pu avoir un impact. Mais elle semblait vraiment hantée par ses souvenirs d'interventions.

« Je suis allée la voir en septembre. Elle était complètement désorganisée, très réactive. Déjà, elle montrait des signes d'épuisement. Elle avait quitté Québec pour Rimouski, c'était déjà un deuil pour elle. Elle a commencé à être agitée, hyperactive », se souvient Lucie Roy.

Revenue aux Îles-de-la-Madeleine, elle a accepté de consulter un professionnel, à contrecoeur.

« Elle vivait ça comme un échec. Elle se demandait si elle serait capable de retourner à son travail, de continuer. Ce n'était plus évident. Et avant son geste, elle a reçu de mauvaises nouvelles, qui n'étaient pas liées au travail. Elle est retombée dans toute sa détresse. », explique Lucie Roy.

Son ami André avait essayé de la contacter après les événements de la mosquée. Il a demandé comment elle allait. Elle semblait fermée à la discussion. « Pour nous, c'est clair que c'était un choc post-traumatique », dit-il.

Il s'est rendu aux Îles-de-la-Madeleine pour ses funérailles. Une douzaine de paramédicaux de l'endroit ont formé une haie d'honneur pour la sortie de l'urne, après la cérémonie.

André Tremblay-Roy, qui s'implique dans le syndicat local des paramédicaux en Gaspésie, souhaite que ce drame suscite une réflexion sur la détresse psychologique du personnel médical d'urgence.

« Je ne pourrai jamais ramener mon amie. Et je ne suis pas là pour blâmer qui que ce soit. Mais est-ce qu'on s'occupe assez de la santé psychologique de nos gens ? Poser la question, c'est un peu y répondre. Si on se pose la question, c'est qu'on pourrait faire plus », dit-il.

L'importance d'aller chercher de l'aide

Au ministère de la Santé, la porte-parole Noémie Vanheuverzwijn a incité toute personne qui souffre à « exprimer sa détresse et à demander de l'aide ».

« Des ressources existent, notamment la ligne Info-Social (811), l'accueil psychosocial des CLSC et la ligne d'intervention en prévention du suicide 1 866 APPELLE, disponible en tout temps », souligne-t-elle.

« Concernant le cas qui vous intéresse, il faut être prudent avant d'affirmer qu'une personne s'est donné la mort à cause d'un stress post-traumatique. La problématique du suicide est complexe et multifactorielle. Il est donc important de ne pas faire de raccourcis et présumer d'une seule cause », dit-elle.

Le Ministère souligne que du soutien a été offert au personnel du réseau de la santé après l'attentat de la mosquée. Quant aux paramédicaux qui sont employés par des transporteurs ambulanciers privés et non par le réseau de la santé, ils peuvent compter sur le programme d'aide aux employés de leur entreprise.

Photo Jacques Boissinot, archives La Presse canadienne

Comme d'autres de ses collègues, Andréanne Leblanc est intervenue dans des conditions d'extrême urgence, le 29 janvier 2017, lorsqu'un attentat a fait six morts et cinq blessés graves dans la Grande Mosquée de Québec. Sur le coup, elle n'a pas mentionné que ça avait été particulièrement difficile.