Une dizaine de jésuites et une vingtaine d'autochtones ont lancé vendredi dernier, dans la baie Georgienne, en Ontario, un pèlerinage de trois semaines sous le signe de la réconciliation. Partis du sanctuaire des Martyrs canadiens, ils feront le trajet inverse de celui de Jean de Brébeuf et de ses collègues missionnaires jésuites, au XVIIe siècle, et arriveront à Montréal à la mi-août.

« Des jésuites ont fait le même trajet en canot en 1967 et sont arrivés à Expo 67 », explique Erik Sorensen, jésuite ontarien qui organise le pèlerinage en canot. « J'en avais souvent entendu parler. J'ai pensé que ce serait une bonne manière de souligner le processus de vérité et réconciliation avec les autochtones. J'ai enseigné dans une école pour autochtones à Regina. »

L'expédition compte au départ une trentaine de pèlerins, un peu plus qu'en 1967, dont le tiers sont jésuites. D'autres se joindront à eux au fil de l'itinéraire, si bien que, lorsqu'elle arrivera à Montréal, l'expédition comptera une cinquantaine de pèlerins dans une douzaine de canots. Des jésuites américains de St. Louis ont été inspirés par le projet et ont organisé plus tôt cet été leur propre pèlerinage jusqu'au sanctuaire des Martyrs canadiens, à Midland, sur la baie Georgienne.

A-t-il été difficile de convaincre les autochtones de se joindre au projet ? « Oui et non, dit le père Sorensen. Nous avons inclus nos partenaires autochtones depuis le départ, ils ont collaboré avec nous très étroitement. Nous nous sommes lancés ensemble dans un processus de guérison [healing]. » 

« Le rôle des jésuites dans la colonisation est évidemment regrettable. C'est notre manière de dire que nous sommes désolés. Ça touche les autochtones. »

Eva Solomon, autochtone de la réserve de Henvey Inlet, au sud de Sudbury, sera du voyage. « Je voulais faire le pèlerinage en 1967, mais je ne pouvais pas, je terminais mon noviciat, dit la soeur Solomon, qui a 74 ans et est religieuse à Winnipeg. Erik m'a contacté parce que ma soeur était impliquée dans le projet et lui a parlé de moi. Nous sommes six autochtones de l'Ouest à participer au pèlerinage. »

Quelle est la réputation des jésuites au sein de la communauté autochtone ? « Ça varie certainement beaucoup, dit la soeur Solomon. Ils ont dirigé une école résidentielle [où les jeunes autochtones étaient envoyés sans leurs parents pour les séparer de leur culture et les assimiler au Canada blanc]. Je ne sais pas si elle était parmi les bonnes ou les mauvaises. Mais au XVIIe siècle, ils ont traduit la Bible en mohawk, ça dénote tout de même une certaine ouverture. Ils sont quand même morts pour leur foi. À l'époque, les autochtones pensaient que les sacrements allaient guérir leurs gens des maladies amenées par les Européens. Quand ça n'a pas marché, ils ont été fâchés. »

Le processus entamé par la Commission fédérale de vérité et de réconciliation, qui a remis son rapport en 2015, est-il important pour la soeur Solomon ? « Des gestes comme ce pèlerinage comptent pour les autochtones, parce que ce n'est pas tout le monde qui a été victime d'abus dans les écoles résidentielles, dit-elle. On apprend à connaître les autres d'une autre manière que ces souvenirs horribles. On apprend à vivre avec autrui, à apprendre d'eux, à partager nos cultures. »

Le départ des canots, vendredi, a été précédé par une messe dans l'église du sanctuaire des Martyrs, érigée près du village historique de Sainte-Marie-au-Pays-des-Hurons, qui recrée une mission jésuite du XVIIe siècle. « Nous avons aussi eu une cérémonie autochtone de purification [smudging], dit le père Sorensen. C'est un dialogue entre deux traditions. »

En 1967, les pèlerins avaient commencé leur itinéraire vêtus de la robe noire que portaient les jésuites d'antan, avant de se changer en une tenue plus sportive. Signe des temps, cette année, aucun jésuite ne portait au départ l'uniforme clérical, pas même le col romain.

En 1967 aussi

Le pèlerinage jésuite en canot de 1967 était placé sous le signe de l'oecuménisme, mais aussi du dialogue entre les « deux solitudes » du Canada, sur fond de centenaire de la Confédération. « On voulait faire un pèlerinage dans le sens inverse de Brébeuf », explique Pierre Côté, jésuite à la retraite qui a fait le pèlerinage en 1967. « On voulait arriver au pavillon chrétien d'Expo 67, qui était assez original parce qu'il représentait toutes les confessions chrétiennes. Le père Beaubien, responsable du centre oecuménique, avait réussi à faire en sorte qu'il n'y ait pas de pavillon du Vatican, mais plutôt un pavillon chrétien. Il y avait trois canots de jésuites anglophones et un canot de francophones, parce que pour les anglophones, la Confédération les touchait plus. Tout au long du parcours, on était accueillis dans les communautés et on faisait des messes dans les églises catholiques. » Y a-t-il eu des difficultés ? « À un certain point, on a décidé de remonter les rapides en tirant les canots, avec un jésuite qui restait pour manoeuvrer », dit le père Côté, qui a travaillé pendant 20 ans comme vicaire épiscopal de feu le cardinal Jean-Claude Turcotte, à Montréal. « On s'était fait dire que c'était une technique efficace. Le canot a renversé, le confrère a failli se noyer. Après, on a fait des portages. »

PHOTO FOTOREFLECTION, FOURNIE PAR LE PÈLERINAGE CANADIEN EN CANOT

Une trentaine de pèlerins sont partis de la baie Georgienne en canot, vendredi. Ils doivent faire en sens inverse le trajet qu'ont suivi Jean de Brébeuf et ses collègues jésuites au XVIIe siècle.

PHOTO FOTOREFLECTION, FOURNIE PAR LE PÈLERINAGE CANADIEN EN CANOT

Le départ des canots, vendredi, a été précédé par une messe dans l'église du sanctuaire des Martyrs, érigée près du village historique de Sainte-Marie-au-Pays-des-Hurons, qui recrée une mission jésuite du XVIIe siècle.