C'était le temps des Fêtes. Comme d'habitude, Caroline* était seule à la maison avec son fils de 6 ans. Le garçon, hyperactif, a fait une crise. Elle ne se souvient plus trop pourquoi. «Tout ce dont je me souviens, c'est que j'étais complètement épuisée», dit la maman de 34 ans.

Totalement incapable d'affronter l'enfant, elle l'a envoyé dans sa chambre et s'est enfermée dans la sienne. «Je me sentais prise. J'étais devant un mur et je voyais tout noir. J'avais dépassé mes limites, mais je n'avais personne pour m'aider.» De l'aide, Caroline raconte en avoir cherché partout. Elle a même appelé la DPJ parce qu'elle avait peur d'elle-même. «On m'a dit que je n'étais pas un cas pour eux.» C'est finalement la Maison Kangourou qui l'a ramassée. Elle y a téléphoné à 23 h, en état de détresse profonde. «Ça n'allait pas du tout. Elle voulait qu'on aille chercher son fils sur-le-champ», raconte Josée Fortin, qui a pris l'appel. Après une longue conversation téléphonique où elle a pu se confier, Caroline s'est sentie mieux. Elle a conduit son fils à l'organisme deux jours plus tard. «J'ai enfin pu dormir et décanter», raconte la femme, qui vit aujourd'hui avec son fils et un nouvel amoureux. «Ça n'a pas l'air de grand-chose, mais pour moi, c'était énorme.» Et si elle n'avait pas eu d'aide? «Il fallait qu'il y en ait», répond-elle fermement.

L'an dernier, Monica* s'est enfuie de chez elle avec ses quatre enfants. Son mari la battait depuis des années. Il était violent avec les enfants aussi. Elle s'est retrouvée dans une maison pour femmes battues de Montréal avec les petits. Sa famille était loin; elle ne connaissait personne dans la métropole et avait perdu son emploi. «Ç'a été une période très difficile. J'étais toute seule et je devais aller en cour, loin de Montréal, pour affronter mon ex», raconte-t-elle. Terrorisée, Monica a pensé au suicide. «Mais je ne pouvais pas partir seule. Les enfants seraient allés vivre avec leur père et il les aurait battus», dit-elle. À bout de ressources, la mère de famille a conçu un plan pour les tuer en même temps qu'elle. Elle ne l'a pas fait. C'est l'appel d'une intervenante auprès des femmes battues qui l'a convaincue d'aller chercher de l'aide (voir texte en A2). Elle est allée à la cour. Aujourd'hui, elle a un appartement en banlieue de Montréal. La vie n'est pas facile, mais au moins, dit-elle, les enfants sont en sécurité. «C'est tout un défi d'élever les enfants seule, raconte la jeune femme. On est englouti par la routine. Repas, écoles, devoirs... À la fin, on n'existe plus. Le problème, c'est qu'on ne veut pas le montrer qu'on est en détresse. C'est comme si ce n'était pas correct.» Des gens lui disent: «Il fallait y penser avant de faire des enfants.» «Je n'avais pas prévu que tout ça m'arriverait quand j'ai fondé une famille», soupire-t-elle.

Les années qui ont suivi sa rupture ont été noires pour Camille*. La femme aujourd'hui âgée de 32 ans et mère de trois jeunes enfants en avait par-dessus la tête. Elle se battait devant les tribunaux contre un homme qui avait été violent et qui refusait de lui payer une pension alimentaire. Elle cherchait du travail et un logement qu'elle n'avait pas les moyens de payer, et elle était en perpétuel conflit au sujet de la garde des enfants, que le père refusait ou «oubliait» de prendre lorsque c'était son tour. «Au bout d'un an, je n'en pouvais plus. J'étais complètement à bout», confie Camille, qui s'est mise à avoir des idées suicidaires. «J'en étais au point où j'avais envie de me jeter devant le train quand je prenais le métro», dit celle qui se croyait dépressive, anormale. «Dans ma tête, pour être une bonne mère, je devais être capable de tout faire. Je me mettais énormément de pression.» Seule, elle n'y arrivait plus. «En fait, tout ce dont j'avais besoin, c'était d'un répit, mais à l'époque, il n'y avait personne pour m'en donner. Au final, c'est les enfants qui en ont souffert.» Elle se souvient d'une fête d'Halloween où elle s'est effondrée, en larmes. «J'avais déguisé et maquillé les petits et on était prêts à sortir frapper aux portes, raconte-t-elle. Ils étaient tellement contents. Mais quand est venu le temps de partir, je n'ai pas pu. Je me suis assise par terre et j'ai pleuré.» Alarmés, les enfants lui ont demandé si elle allait mourir. «Ils ne comprenaient pas ce qui m'arrivait. Mon plus vieux a fini par appeler un ami à mon secours.»

* Les noms ont été modifiés afin de protéger l'identité des mères et de leurs enfants.