Ils ont moins de 30 ans, voyagent beaucoup et se qualifient de «nomades numériques». Plutôt que d'aller cueillir des fruits dans l'Ouest canadien, les milléniaux préfèrent souvent l'Asie et l'Amérique du Sud et s'assurent... d'être vus! Rencontre avec des voyageurs qui maîtrisent la communication et les réseaux sociaux et qui ont fait du voyage leur métier.

Dans le froid de l'hiver, il suffit de jeter un coup d'oeil aux photos publiées sur les réseaux sociaux par ceux qui ont choisi de voyager à temps plein pour que le mot vienne à l'esprit: «chanceux». Ici, Lydiane pose dans un vignoble. Là, Guillaume fait le pitre dans un souk de Doha. Safia et Émilie posent ensemble sur une plage, un coucher de soleil en arrière-plan.

La chance. Dites à ceux qui ont choisi de faire des voyages le coeur de leur vie qu'ils en ont, et vous risquez d'être instantanément rabroués.

«Je pense que les gens ne s'imaginent pas à quel point j'ai une job qui est plus qu'à temps plein, je pourrais travailler plus de 80 heures par semaine», affirme Lydiane St-Onge.

La jeune femme s'est fait connaître grâce à son blogue «Lydiane autour du monde» et aujourd'hui, voyage à l'extérieur du Québec environ sept à huit mois par année.

Elle constate que l'intérêt pour ce type de voyages est en croissance. «Je suis celle qui a lancé le bal des blogues de voyage au Québec, mais il y a un certain mouvement en ce sens. Les jeunes voient ça comme une solution facile pour payer leurs voyages, ils pensent qu'ils vont juste aller cogner aux portes des commanditaires», constate Lydiane St-Onge.

Lorsque Safia Dodard et Émilie Robichaud, les deux Québécoises derrière le site consacré aux voyages Nomad Junkies, ont organisé le printemps dernier une conférence sur le voyage à temps plein, la réponse a été immédiate. «Ça a été un succès, 250 personnes se sont présentées à l'événement. On savait qu'on avait quelque chose de fort», dit Safia Dodard, jointe au Cambodge.

Mais elle reconnaît que derrière l'image souvent léchée diffusée par les réseaux sociaux, la vie de «nomade numérique», comme se qualifient eux-mêmes ceux qui ont adopté ce mode de vie, n'est pas pour tout le monde.

«J'ai rencontré une fille en Thaïlande récemment et elle m'a dit: "Ce n'est pas pour moi." Il n'y a pas tant de ressources à ce sujet-là», dit-elle. Il faut savoir se débrouiller dans un monde rempli d'incertitudes, où il faut savoir se remettre en question.

Elle croit toutefois que de plus en plus de Québécois envisagent d'adopter la formule voyage-travail. «Notre but, à Émilie Robichaud) et moi, c'est de démocratiser le voyage. Je vois des gens qui ont la nouvelle voiture de l'année; moi, avec cet argent-là, je peux voyager pendant deux ans. Des fois, je dors dans une chambre à Bangkok, il fait super chaud et j'ai juste un ventilateur: je ne vis pas dans le luxe non plus. Mais c'est un choix que j'ai fait.»

Voici un portrait de quelques-uns de ces nomades numériques, de la pionnière... à ceux qui se lancent... à celui qui perce.

La pionnière: Lydiane St-Onge

«C'est la figure de proue. Quand tu penses à voyage avec un sac à dos, tu penses à Lydiane.» Celle dont Safia Dodard, la cofondatrice de Nomad Junkies, parle, c'est Lydiane St-Onge.

À 26 ans, la jeune femme vivait «le rêve américain: grosse maison, gros salaire, grosse voiture». «Mon Dieu! Ça ne me comblait pas du tout. Je pensais que ça allait m'apporter du bonheur, mais au final, je travaillais comme une folle pour payer ces choses-là.»

Lydiane St-Onge a donc quitté son emploi de courtière immobilière et tout vendu. Exit la maison et la voiture, elle a mis le cap sur les Philippines.

«Les gens pensent que j'ai pu partir en voyage parce que j'avais fait de l'argent. En réalité, j'en ai perdu en vendant mes choses le plus rapidement possible.»

«Au cours des années précédentes, je m'étais mis assez d'argent de côté pour payer ma première année de voyage.»

La page Facebook «Lydiane autour du monde», créée pour la famille et les amis, allait devenir sa nouvelle carrière. Elle est aujourd'hui suivie par plus de 85 000 personnes. «J'étais déjà connue à Trois-Rivières parce que j'étais une courtière immobilière qui laissait tout tomber.» Quelques années auparavant, elle avait également participé à la populaire émission de téléréalité Occupation double. «Mon visage était connu, je pense que les gens se disaient: elle me dit quelque chose, je vais la suivre.»

Un an et quelques pays plus tard, une brève escale au Québec lui a permis de constater que les médias la réclamaient. Les commanditaires - qu'elle appelle ses «partenaires» - ont suivi. «GoPro m'a dit qu'ils voulaient m'avoir comme ambassadrice, ils m'offraient de l'équipement et de l'argent. J'étais tout énervée!»

«Lydiane autour du monde» est devenu une marque et celle qui l'incarne ne s'en cache pas. «Il y a neuf compagnies qui sont mes partenaires annuels et qui me permettent de financer mes voyages et de me financer.»

La jeune femme revient d'un voyage en Nouvelle-Zélande commandité par Loto-Québec, tandis qu'une entente avec le vin chilien Epica l'amènera en Patagonie cette année. «Des fois, ce sont des propositions de voyages, des fois, c'est moi qui décide où aller», dit-elle.

Entre une émission sur la chaîne Évasion, un livre qui sera publié sous peu, des conférences à donner, une boutique en ligne de produits dérivés, les réseaux sociaux à alimenter et un chum à Montréal, force est de constater que le rythme de vie de Lydiane St-Onge n'a pas ralenti. «C'est un travail maintenant, mais un travail très passionnel. Le jour où je n'aurai pas le goût de partir, ça voudra dire qu'il faut que je ralentisse.»

Une destination marquante: La Nouvelle-Calédonie

«C'est l'un des plus beaux endroits sur Terre. Mes parents y ont passé trois ans, je suis allée les visiter en 2014 pendant un mois et demi, ce qui m'a permis de connaître la culture. C'est le paradis du kitesurf et de la plongée, je n'ai jamais vu des eaux comme ça! Il n'y a pas trop de pollution, les gens sont super sympathiques et parlent français.»

Photo fournie par Lydiane autour du monde

«Lydiane autour du monde» est devenu une marque et celle qui l'incarne ne s'en cache pas.

Ceux qui se lancent: Joëlle Choquette et Iouri Philippe Paillé

Joëlle Choquette et Iouri Philippe Paillé ont déjà voyagé ensemble, mais ils aspirent à se lancer enfin dans la grande aventure de leurs rêves.

«Notre but, c'est de nous sauver de l'hiver», dit Joëlle Choquette. Ce que le couple fera dans cinq jours lorsqu'il prendra l'avion en direction de l'Asie du Sud-Est pour un voyage de trois mois.

Mais comment se sauver de l'hiver chaque année quand on a un travail prenant? La réponse semble presque évidente:  en travaillant en même temps. C'est ainsi que Joëlle et Iouri Philippe, qui ont tous deux travaillé en publicité - elle comme chef de contenu dans une agence, lui comme réalisateur - ont décidé de lancer «Ciao bye!».

«On veut lancer un projet de contenu de voyage. Dans mon emploi actuel, je fais de la gestion, et la création me manquait. On essayait, Iouri et moi, d'allier nos forces», explique Joëlle.

Tous deux mettent leur carrière en veilleuse pour trois mois, histoire de voir de quoi ils sont capables ensemble. Tandis qu'ils seront au Viêtnam, au Cambodge, en Thaïlande, en Malaisie ou encore à Bali, ils tourneront une websérie qu'ils souhaitent vendre à un diffuseur.

«On est conscients que ce n'est pas un voyage qui va être relax, mais on va tester notre méthode de travail, ce que c'est que d'avoir une caméra avec nous. Ça demande plus d'organisation, il faut que tu saches ce que tu veux faire et où tu t'en vas. Mais on a aussi prévu des plages horaires pour relaxer», dit Joëlle en riant.

Plus qu'un voyage de trois mois, c'est un projet-pilote. Si ce premier voyage-travail est concluant, d'autres suivront.

«On veut se rapprocher d'un mode de vie qui nous convient plus. Tous les sous qu'on fait en travaillant, on les met dans un voyage. Pourquoi ne pas réorganiser nos vies autour du voyage, trouver une manière de financer ça?», demande Joëlle.

Si tout fonctionne comme prévu, le couple de voyageurs souhaite s'éloigner du modèle traditionnel «métro-boulot-dodo». Et, qui sait, peut-être dire au revoir à l'hiver pour plusieurs années.

Une destination marquante: Costa Rica

«L'an dernier, on y a fait un voyage d'un mois et on a eu un coup de coeur. On y était déjà allés séparément et le but était d'y aller en couple. C'est super relax! Dans la région où on était, il y avait beaucoup d'expatriés qui avaient tout laissé derrière eux et refait leur vie là-bas. Des gens qui avaient des vies stressantes avant et qui ont fait le choix d'aller là vivre un mode de vie qui leur convenait mieux. Ça nous a attirés», dit Joëlle Choquette.

Photo fournie par Joëlle Choquette et Iouri Philippe Paillé.

Celui qui perce: Guillaume Duranceau Thibert

La vie de Guillaume Duranceau Thibert ne se déroule pas toujours les deux pieds dans le désert ou en maillot dans la mer. Prenons en exemple le moment où il accorde une entrevue à La Presse. «Je suis dans ma cabane, je vends des sapins de Noël.»

Du stationnement d'un Canadian Tire où est installée sa petite cabane, l'homme de 28 ans insiste: ses voyages, il les gagne un par un. «Les gens me disent: "T'es donc ben chanceux." Je ne crois pas en la chance. Si tu n'aimes pas ce que tu fais, vas-y, fais autre chose. Mes voyages, je les gagne. Tout l'été, je travaille 100 heures par semaine, c'est pour ça que je peux voyager ensuite», dit-il.

La mère de Guillaume Duranceau Thibert possède un commerce qui vend notamment des fleurs l'été et des sapins l'hiver - d'où la cabane. Dès qu'il a eu 18 ans, Guillaume s'est joint à l'équipe. «On travaille du 1er mai au 1er novembre. J'aime être sur le terrain, jaser avec les gens, rencontrer de nouvelles personnes», explique-t-il.

«Graduellement», il a pris ses mois de congé pour partir.

«J'ai d'abord passé deux mois au Pérou avec un ami. Tranquillement, tu comprends comment c'est de te trimballer d'un bord et de l'autre sans savoir où tu vas dormir...»

«Après, je suis allé en Asie un peu plus longtemps, ensuite, je suis allé en Inde trois ou quatre mois. C'est comme ça que j'ai pogné mon beat

Jusqu'à tout récemment, le jeune homme de La Prairie vivait ses aventures sans trop les diffuser. Puis, il y a un an, il s'est mis à faire des vidéos de ses voyages. «Je suis parti en Suède, en Asie et au Moyen-Orient et j'ai commencé à documenter ça», dit-il.

Techno nul

Pourtant, en matière de technologie, il est «archaïque». «J'étais vraiment nul. Les milléniaux sont sur tous les réseaux sociaux et je suis un peu de la vieille garde. C'est un gros apprentissage pour moi», dit-il.

Recruté par l'agence Goji après quelques apparitions à la télévision, Guillaume Duranceau Thibert est officiellement devenu youtubeur, lui qui ignorait l'existence même du terme il y a un an. Propriété de Québecor, Goji aide de jeunes vidéastes à «développer leur audience et leur marque».

Le voyage est-il devenu un peu le gagne-pain de celui connu sur le web comme Guillaume sans destination? «Il y a des trucs qui ont débouché, ça m'a donné une visibilité. J'ai fait l'émission Les gourmands à Radio-Canada, je serai à Code G à Vrak cet hiver, des magasins vont me soutenir. Si des compagnies peuvent m'aider à voyager et me permettent de faire des choses encore plus intenses, c'est réussi», dit Guillaume Duranceau Thibert.

Tout ça ne lui permet toutefois pas de payer ses voyages. «J'ai encore le sentiment de mériter de partir», dit-il. À la fin de décembre, il est reparti dans une «immense aventure», soit un road trip de 15 000 km de la Colombie à l'Argentine.

Il assure que ce ne sera pas le dernier voyage. «Les gens me disent toujours: profites-en pendant que t'es jeune. J'ai de la misère avec ce concept-là. Je vais faire ça toute ma vie, pour moi, c'est un bonheur.»

Une destination marquante: Les Philippines

«J'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir ce pays-là, c'est un cocktail de paysages, de gens, de trucs moins orthodoxes. Tu sors des sentiers conventionnels de la Thaïlande, du Laos et du Viêtnam. C'est un archipel de 7000 îles, tu peux faire plein de choses, du trekking au surf; j'y ai fait de la plongée avec les requins-baleines, avec un volcan en toile de fond...»

Photo fournie par Guillaume Duranceau Thibert

Guillaume Duranceau Thibert voyage depuis 10 ans pendant de longs mois. On le voit ici à Oman.