La dernière destination tendance pour les voyageurs qui visitent l'Inde: Dharavi, le plus grand bidonville d'Asie avec un million d'habitants, coincé sur un terrain marécageux entre les deux principales gares de Bombay, métropole économique du sous-continent. À Dharavi, les ordures sont une matière première. La population industrieuse du bidonville les récupère et les recycle avec une ingéniosité confondante. Une nouvelle industrie vient d'y naître: le tourisme.

Peut-être faudrait-il plutôt parler d'artisanat, parce que Reality Tours and Travel, l'agence qui organise ces «tours de bidonville», n'y emmène encore que quelques dizaines de touristes par jour. Le «tourisme de la misère», que les anglophones désignent sous le terme de «slum tourism» (tourisme de bidonville), est une des niches émergentes du tourisme international et semble promis à un bel avenir.

 

Les animateurs de Reality Tours n'ont rien inventé. Cette nouvelle spécialité a vu le jour au Brésil au début des années 90, alors qu'un jeune entrepreneur du nom de Marcelo Armstrong a eu l'idée de lancer Favela Tours à Rio de Janeiro. Pas moins de 200 bidonvilles dans lesquels s'entassent 4 millions d'habitants s'accrochent aux flancs des pitons rocheux qui hérissent les pourtours de la baie de Rio. Marcelo Armstrong emmène ses clients dans le plus grand de tous, Rocinha, où 200 000 damnés de la terre bénéficient d'une vue imprenable sur les plages chics d'Ipanema et de Leblon. Aujourd'hui, une bonne dizaine d'agences livrent une vive concurrence à Favela Tours. L'une d'entre elles, Be a Local Tours, emmène même les touristes dans les «Favela Partys», les bals funk organisés dans des garages où, pour une trentaine de dollars, ils peuvent participer à la fête.

Le concept a été récupéré dans plusieurs pays du tiers-monde. On peut visiter Galur et Kampung Pulo, les deux plus grands bidonvilles de Jakarta, avec Jakarta Hidden Tour; Soweto, le «township» de Johannesburg, de sinistre mémoire, avec Soweto Tours (le township vient d'ailleurs de se doter d'un office du tourisme); et au Kenya, plusieurs agences réceptives locales ont inclus dans leur programmation la découverte de Kibera, dans la banlieue de Nairobi, qui est probablement le plus grand bidonville d'Afrique.

Ces pratiques suscitent d'ailleurs de vives controverses dans la presse locale. Plusieurs journalistes accusent les agences concernées d'exploiter la misère. Les universitaires spécialisés en tourisme crient au voyeurisme. David Fennel, professeur à la Brock University, en Ontario, a déclaré au New York Times: «Une visite dans ces bidonvilles nous permet de constater qu'eux sont vraiment dans une situation désespérée, ce qui nous conforte dans l'idée que nous sommes bien lotis.» En France, la psychiatre Catherine Reverzy écrit: «Jouir de la détresse de l'autre, ça relève de la perversité.»

Mais le «slum tourism» a ses défenseurs. Les agences comme Hidden Tours à Jakarta ou Reality Tours and Travel à Bombay sont des organismes à but non lucratif dont les profits vont à des centres communautaires dans les bidonvilles. En attendant, le tourisme de la misère gagne les pays développés. À New York, des agences prospèrent en organisant des visites des quartiers chauds du Bronx et d'East Harlem. À Lisbonne, l'attraction en vogue est le bidonville de Cova de Moura, où s'entassent des immigrés africains pour la plupart illégaux. Et à Rotterdam, une agence propose des visites encadrées des quartiers musulmans pauvres: City Safari Tours. Le nom n'est pas mal choisi, puisque ces safaris nous amènent au plus profond de la jungle urbaine!