Des voyageurs intrépides nous racontent leurs histoires. Elles sont parfois rocambolesques et même difficiles à croire. Parfois, aussi, leurs aventures ont surtout d'extraordinaire qu'elles les ont menés plus loin. Dans tous les sens du terme.

QUI?

Clôde de Guise, une Québécoise devenue guide de safari

QUOI?

Rare rencontre avec une famille de guépards

OÙ?

Le parc national du Serengeti, en Tanzanie

Nous sommes au plus célèbre parc de la Tanzanie, le parc national du Serengeti. Il est 5h30 du matin. La silhouette des acacias parasols se découpe sur fond de ciel embrasé de couleur rouge vif. Ce premier arrêt sur image est la promesse d'une journée riche en émotions fortes.

Pieds nus, je grimpe sur mon siège dans la jeep, je sors la tête par le toit ouvrant et, face au vent, je flaire l'air de la savane. Tous les regards sont aux aguets. Des silhouettes se profilent et forment une masse noire. C'est un troupeau de buffles. Imposants, les buffles s'arrêtent de brouter pour nous fixer. Avec leurs cornes de taureau, il ne nous viendrait pas à l'idée de jouer à la corrida.

Ce qui est tellement fascinant dans un safari, c'est qu'on ne peut pas savoir à l'avance quelles seront les bêtes que nous croiserons. Chaque nouvelle apparition est une fête.

Quand tu vois tes premières girafes, ces élégantes au long cou et à la démarche majestueuse, tu es en émoi. Quand une harde d'éléphants traverse la route sous tes yeux avec quelques éléphanteaux dans le troupeau, tu es en extase. Arrêter pour observer les hippopotames dans un étang, les voir baîller la mâchoire ouverte à 180 degrés et s'immerger totalement pour revenir à la surface 5 minutes plus tard, tu en as le souffle coupé. Des zèbres, il y en a tellement que le paysage est rayé de noir et blanc. Tout capte ton attention et tu alternes entre les jumelles et l'appareil photo.

Moi qui aime les oiseaux et les connais de mieux en mieux, je suis servie à souhait. Assister à la pariade des autruches. Observer les grues royales avec leur pompon jaune de majorette sur la tête et tous les oiseaux de taille plus modestes aux couleurs éclatantes est un vrai régal. Puis, il y a les vols planés des aigles, des buses, des milans noirs... et les vols en cercle des vautours.

Mais ce matin-là, le plus qu'extraordinaire allait se produire sous nos yeux. Il était 9 h du matin, nous étions au milieu de la plaine et seuls au monde. Aucun autre véhicule n'était en vue.

Elle était là, à quelques mètres de nous, dans les hautes herbes de la savane. Élancée et souple dans sa robe couleur fauve tachetée de points noirs. On pouvait même déceler cette ligne noire qui la caractérise et ressemble à une traînée de larmes sous chaque oeil et qui s'étire jusqu'au museau. La femelle guépard est entourée de ses trois petits qui s'amusent, se mordillent, sautent les uns sur les autres. L'insouciance de l'enfance.

Pas très loin quelques gazelles broutent paisiblement. Ce sont des gazelles de Thomson, la proie préférée du guépard. À pas feutrés et en rampant, maman guépard s'approche de sa proie et jamais elle ne la quitte des yeux. Puis, elle s'assoit. On croirait un guépard en faïence, tellement elle est immobile.

À ce moment, les trois petits s'arrêtent net de fanfaronner et se tapissent dans l'herbe. Ils ont compris, l'heure est grave: maman est à la chasse. Il y a du suspense dans l'air. Et, voilà que l'animal terrestre le plus rapide au monde (75 km/h en 2 secondes pour atteindre une vitesse de pointe d'environ 110 km/h) lance l'attaque. On voit un éclair jaune filer à toute allure. La gazelle se met à zigzaguer pour tenter de dérouter maman guépard à ses trousses. Cette dernière dispose de 90 secondes, au plus, pour tuer sa proie. Après, elle devra lâcher prise d'épuisement. Je retiens mon souffle et au moment où je pense qu'elle va échouer à cause du temps qui file, maman guépard saute sur la gazelle, elle l'immobilise, la saisit à la gorge et l'achève en l'étouffant. Les trois petits ont immédiatement rejoint leur mère. La table est mise.

Dans le groupe, il y a ceux qui pleurent la gazelle et les autres, dont je fais partie, qui se réjouissent parce que pour ce jour, la survie des petits est assurée.

Généralement, un seul des trois bébés va atteindre l'âge adulte.

De retour à notre campement, la tête pleine d'images, nous avons entendu à la tombée de la nuit, le rugissement du lion et, plus tard, le ricanement caractéristique de la hyène. Les chasseurs nocturnes sont à l'oeuvre. Quant à moi, je savais que je venais de vivre une journée qui serait à jamais gravée dans ma mémoire.