Longtemps abandonné à sont triste sort, l'hôtel Waldorf de Vancouver vient de rouvrir ses portes, donnant naissance à un complexe artistico-culturello-hotello-tiki-kitsch dans l'est de la ville.

Le chauffeur de taxi paraît médusé. «L'hôtel Waldorf? Qu'est-ce que vous allez faire là? Il y a seulement une taverne pour les débardeurs du port. Moi, j'évite le quartier le plus possible.»

Il faut dire que pour arriver à l'immeuble récemment rénové d'East Vancouver, on doit traverser l'enfer de la rue Hastings, où les centaines de toxicomanes arpentent nerveusement les trottoirs. Des hôtels aux devantures des années 40 et 50, aux noms de Balmoral, Regent et Astoria, tombent en ruine, apparemment convertis en piqueries.

Le taxi poursuit néanmoins son chemin et on entre dans une zone industrielle, où des signes de développement et d'un certain embourgeoisement font leur apparition. Mais quand même, rien à voir avec des quartiers comme Gastown, le West End ou Yaletown.

Encore un peu plus loin, au 1489, East Hastings, l'enseigne retapée apparaît. L'établissement bâti en 1947, blanc, gris et noir, ne paie toujours pas de mine. On y imagine sans peine les ouvriers du port venir boire ici, après leur quart de travail. Ou pendant.

Mais derrière ses portes, se trouve un étonnant complexe hôtelier, artistique et culturel, ouvert il y a moins d'un an.

À côté de la réception, deux chaises vides de barbier et un écriteau annoncent un petit salon de coiffure, le salon Barbarella. «Nous sommes ouverts les vendredi et samedi», précise un préposé de l'hôtel.

À gauche, une grande salle, l'ancienne taverne en question, a été convertie en deux restaurants. Le Café Nuba, l'un des quatre établissements du Groupe Nuba à Vancouver, sert des spécialités libanaises. Plus loin, dans la salle Leeteg, on a mis sur pied un programme de chef en résidence, afin d'attirer des talents d'un peu partout dans le monde afin d'élaborer des menus jouant sur les saveurs internationales.

C'est dans le café que l'on rencontre Daniel Fazio, le gérant de marque et du design du Waldorf, qui offre de nous faire visiter l'immeuble.

Sous les palmiers

La pièce de résistance se trouve dans la salle suivante, où d'authentiques peintures de Polynésiennes nues sur velours noir de l'artiste Edgar Leeteg ornent les murs. Sous les lumières bleues et orangées, tout est en bambou: les murs, le bar, jusqu'aux tabourets. Des palmiers entourent la piste de danse.

«C'est le plus vieux bar tiki toujours ouvert en Amérique du Nord!», lance fièrement M. Fazio.

Construit en 1955, le bar a connu ses heures de gloires jusque dans les années 60, 70, avant d'être laissé pratiquement à lui-même pendant trois décennies.

Il a repris du service il y a un an. Des soirées Endless Summer y sont organisées, au même titre que des «cabarets latins alternatifs» ou les Ice Cream Social, où l'on fait jouer les meilleures chansons rock et pop des années 50 et 60.

Mais d'abord et avant tout, le bar tiki a servi de point de départ au musicien Thomas Anselmi, au restaurateur Ernesto Gomez (groupe Nuba) et à l'architecte Scott Cohen, pour développer l'ensemble du complexe.

«L'objectif principal était d'honorer l'histoire de cet immeuble, tout en le transformant en un complexe artistique et culturel, explique M. Fazio. Mais nous ne voulions pas que ce soit uniquement kitsch. Nous voulions qu'il y ait de la substance.»

Sans être trop lourd, le thème polynésien est donc repris un peu partout dans le Waldorf, sorte de trame narrative de bambou.

Les 30 chambres, dont 10 rénovées, sont au premier, à côté d'une petite galerie d'art. Leur style est minimaliste et a gardé un air des années 50, tout en intégrant, plus subtilement, le thème polynésien. Une attention particulière a été accordée à la chaîne stéréo: une énorme boîte comme en en voit dans les marchés aux puces, avec haut-parleur surdimensionné et sur laquelle on peut écouter (sur cassette) l'une des compilations de l'hôtel.

Le sous-sol est séparé en deux pièces: la première est une petite salle de spectacle aux rideaux rouges, qui rappelle les films de David Lynch. Sur l'un des murs, une grande murale d'art polynésien a été peinte il y a plusieurs années. La deuxième salle, aux plafonds très bas, a aussi un bar et une table de DJ. Une piste de danse occupe presque tout l'espace.

L'hôtel dispose enfin d'un vaste espace extérieur, où des BBQ et des concerts sont organisés de temps à autre et où une galerie d'art a été emménagée dans un vieux conteneur de transport maritime, dans le cadre d'un projet artistique de l'institut Goethe.

Daniel Fazio admet que l'image «dur à cuire» du quartier peut tenir des clients potentiels à l'écart. Mais moins d'un an après son ouverture, les affaires du Waldorf vont bien, dit-il. La plupart des chambres sont louées, surtout la fin de semaine. La clientèle est majoritairement composée de jeunes artistes ou de créateurs qui débarquent à Vancouver pour quelques jours ou quelques semaines... Ou de gens du voisinage. Traditionnellement industriel et commercial, East Vancouver est en perpétuelle transformation et de plus en plus de gens s'y installent.

«Tout le monde nous soutient, affirme-t-il. Tous les gens de Vancouver veulent que ce genre d'endroit, significatif pour la ville, survive.»

Waldorf, 1489 East Hastings, Vancouver, www.waldorfhotel.com. Chambres entre 95 et 110$ la nuit.