Quel bateau - le petit ou le grand - est le meilleur pour approcher les baleines? Nous avons testé les deux. Compte rendu.

La bleue au ras de l'eau

Hugues Durocher a une vraie dégaine de capitaine de bande dessinée: barbe à la capitaine Haddock (quoique plus argentée), casquette, chandail de marin.

Depuis 35 ans, il propose des excursions en mer pour observer les grands mammifères et il travaille aujourd'hui pour Croisières Essipit.

C'est lui qui est à la barre du canot de type Zodiac, un bateau pneumatique 12 places, pour notre sortie matinale. La virée s'annonce mouvementée. Le vent souffle fort sur le quai des Bergeronnes et la mer est agitée.

La veille, trois baleines bleues, «dont une qui montrait la queue», ont été aperçues au large des Escoumins. Hugues Durocher aimerait bien les retrouver. Difficile toutefois de savoir où chercher; la journée commence à peine et la radio de bord est silencieuse. Aucun capitaine du secteur n'a encore vu quoi que ce soit qui mérite d'être communiqué. Il faudra chercher.

Au large, le vent fait gonfler les vagues, qui atteignent facilement un mètre, voire un mètre et demi de hauteur. Le vent ne s'essouffle pas, avec des pointes de 15 à 20 noeuds. Le bateau se fraie tant bien que mal un chemin à travers les vagues, non sans provoquer quelques éclaboussures. «Ça mouille?», lance le capitaine, tout sourire.

Oui, ça mouille. Et ça vente. Les lourdes combinaisons isothermiques, la tuque et les gants ne sont pas de trop. Surtout que la croisière pourrait se prolonger. Un rorqual bleu a été repéré vers l'est. Ce n'est pas tout près, mais c'est jouable...

Sauf que cette baleine fait tout sauf se rapprocher. Chaque fois que la radio grésille, c'est pour annoncer que la géante est plus loin, plus au large. La distance parcourue est déjà si grande, impossible de reculer. Le risque de faire chou blanc est trop grand.

Il faudra parcourir plus de 40 km sur une mer peu docile pour finalement approcher le plus grand des animaux du globe. Son dos apparaît lentement puis vient un souffle puissant, un seul, mais démesuré comme tout ce qui concerne le rorqual bleu.

«C'est Crinkle, lance notre capitaine. C'est une femelle qui nage dans le secteur depuis 1982. Elle doit avoir au moins 40 ans.» La peau fripée de part et d'autre de sa nageoire dorsale a permis à Hugues Durocher de l'identifier.

D'autres bateaux ont suivi la même piste que nous et bientôt, 60 paires d'yeux scrutent l'horizon dans l'espoir de voir Crinkle revenir à la surface. D'ordinaire, un rorqual bleu souffle trois ou quatre fois avant d'arquer le dos et de plonger. Si c'est le cas, l'attente peut durer : une baleine bleue peut rester immergée pendant 30 minutes.

Or, notre bateau s'est déjà éloigné plus que d'ordinaire de son point de départ. «On est beaucoup plus près de la rive sud du fleuve que de la rive nord. On peut même voir les îles du Bic!», lance Hugues Durocher.

Il faut rentrer. «Crinkle est peut-être repue et se repose entre deux eaux...» Sur la route du retour, deux petits rorquals apparaîtront au loin. L'excursion qui devait durer deux heures frôlera finalement les trois heures. Trois heures de vent, de vagues et d'air salin. C'était le prix à payer pour admirer Crinkle, au ras de l'eau. Pour certains (j'en suis), l'aventure semble plus intense lorsqu'elle est vécue ainsi, au grand vent...

Croisières Essipit offre des excursions d'observation aux baleines de deux heures, jusqu'au 9 octobre.

Tarifs: 58 $ par adulte 39 $ pour les 16 ans et moins.

La croisière s'émerveille

«À quelle heure, la première baleine?»

Agathe Poitras rigole en répétant cette question pour le moins saugrenue. Guide-naturaliste à bord des navires de croisières AML, elle sait mieux que quiconque que les baleines ne respectent aucun horaire ni itinéraire.

Verra-t-on des rorquals bleus? Des bélugas? Vaut-il mieux s'asseoir à l'avant du grand bateau ou à l'arrière? Autant de questions auxquelles elle répond avec un haussement d'épaules.

«Les baleines se déplacent sans arrêt», explique-t-elle au micro, juchée dans l'escalier qui domine le pont avant, tandis que sa voie résonne sur les trois étages du navire. «Elles passent 80 % de leur temps sous l'eau et ne peuvent pas être détectées avec un sonar ou un radar.»

C'est donc grâce à nos seuls yeux qu'il faudra repérer les mammifères marins en ce matin frais. Tant mieux: l'eau est calme. La force du nombre nous confère aussi un avantage indéniable, puisque pas moins de 700 personnes peuvent monter à bord de l'AML Grand Fleuve. Même les passagers restés bien à l'abri sur le pont inférieur ont leurs chances. Le navire est largement fenêtré; ils pourront tout voir sans souffrir des vagues, du vent, du froid. Cette croisière, fort populaire, se veut tout confort: tables, service de restauration, location de jumelles, boutique souvenir, toilettes...

L'excursion à proprement parler tarde toutefois à commencer. Le bateau quitte le quai de Tadoussac et doit passer par Baie-Sainte-Catherine pour embarquer d'autres passagers. Un détour de 30 minutes, tout de même...

Finalement, le navire s'engage dans le fjord du Saguenay, le royaume des bélugas. L'eau, douce, est plus sombre que dans le fleuve et, bientôt, trois taches blanches apparaissent au loin. «Bélugas à 1 h!» Le cuir de leur dos blanc brille comme de la neige.

Avant de croiser ses premiers bélugas, on croit en apercevoir partout, en particulier dans l'écume des vagues. Mais une fois qu'on les a vus, même de loin, on n'oublie jamais le contraste de leur peau sur l'eau.

Pour chercher les grandes baleines, il faut toutefois prendre le large. L'AML Grand Fleuve traverse sans tanguer les vagues désordonnées qui se forment à la confluence des eaux du fleuve et du fjord. Une quarantaine de phoques communs y pataugent en groupe. Magnifique spectacle...

En attendant que les premières baleines surgissent, Agathe Poitras multiplie les informations : nombre d'espèces présentes dans le fleuve, topographie des fonds marins, habitudes alimentaires des baleines, etc.

Elle s'interrompt, d'un coup: «Rorquals à 9 h!» Tous les passagers se ruent du même côté. Surprenant que le bateau ne chavire pas!

Deux rorquals communs nagent côte à côte à une centaine de mètres à peine du navire, pendant que les appareils-photo des passagers surchauffent. Ils mangent sans trop s'inquiéter d'être ainsi mitraillés. «Les rorquals communs ne montrent pas la queue quand ils plongent», prévient la naturaliste. «Sachez aussi que lorsque les baleines soufflent, elles n'expulsent pas l'eau. Le jet qu'on voit est plutôt formé par la condensation entre l'air chaud des poumons de la baleine et l'air froid de l'extérieur.»

Les deux rorquals - on apprendra plus tard que l'un est une femelle baptisée Caïman - n'ont pas l'intention de se presser, malgré les quatre bateaux qui les entourent. Ils finiront tout de même par plonger et les navires, par rentrer au port.

La croisière de trois heures aura été riche en rencontres et en informations, au-delà même de nos attentes. Certes, on oublie parfois qu'on est en mer tellement le bateau est grand (et stable !) et la foule peut irriter les passagers plus contemplatifs. Mais ceux qui ont envie de rester au sec et au chaud sont ici comblés.

AML offre des croisières à bord d'un canot pneumatique de 48 places, d'un bateau de type catamaran (243 passagers) et du navire AML Grand Fleuve.

Tarifs: À partir de 69,95 $ par adulte 33,95 $ pour les 6 à 17 ans.

Photo David Boily, La Presse