Derrière une porte vitrée fermée par une serrure électronique s'étend le 17e étage de l'hôtel d'affaires Bella Sky de Copenhague: en violation de la loi sur l'égalité, la zone Bella Donna est interdite aux hommes afin que les femmes s'y sentent chouchoutées et rassurées

«Je n'ai pas le droit d'entrer. Je dois attendre ici»: sauf urgence, même le directeur Anders Duelund ne franchit pas cette porte.

«Moi, j'ai un passe», lance le chef de la réception en charge de la sécurité Chren Vilander Thomsen qui n'hésite pas, lui, à pénétrer dans l'enceinte protégée pour en déloger la journaliste accusée de perturber la tranquillité de ses voisines.

«Nous avons reçu une plainte et le respect de la vie privée de nos clientes est une priorité», explique-t-il en contrôlant l'identité de la fauteuse de trouble qui cherchait simplement à recueillir les impressions des habitantes de ce drôle d'étage.

La restriction d'accès est stricte au point qu'une cliente disposant d'une chambre à l'étage Bella Donna (Belle Femme, en italien) et souhaitant inviter un homme doit demander à être relogée.

Cette zone d'exclusion a amené un plaignant, protégé par l'anonymat, à saisir le Conseil de l'Égalité entre les hommes et les femmes car il trouvait que «le fait de fermer l'étage stigmatisait les hommes comme des agresseurs», résume M. Duelund.

Pour Jytte Larsen, du réseau de défense des droits des femmes Kvinfo, cette plainte est «inopportune».

«Il y a une seule personne, un homme, qui prétend que c'est de la discrimination et cela oblige le Conseil à traiter le cas et à lui donner raison parce que, d'après la loi danoise sur l'égalité, il est interdit de traiter différemment les gens en fonction de leur sexe», déplore-t-elle.

Le 11 novembre, le Conseil a effectivement sommé l'hôtel d'ouvrir l'étage aux hommes.

«Nous décidons nous-mêmes qui nous devons loger dans notre hôtel»rétorque M. Duelund. «Cette porte en verre a coûté 60 000 couronnes, on doit maintenant l'utiliser», ajoute-t-il sur le ton de la plaisanterie.

À l'ouverture en mai dernier de ce quatre étoiles à l'architecture ultra-moderne, «nous n'avons pas pensé devoir spécialement protéger les femmes», explique le directeur. Il rejette tout rapport avec l'affaire DSK à New York ou avec le meurtre d'une femme dans un hôtel de Copenhague en mars 2010 qui a fait beaucoup de bruit dans le royaume.

«C'est juste un petit plus préventif» très apprécié des femmes d'affaires qui voyagent seules et craignent d'être suivies jusqu'à leur chambre, relève-t-il.

«Beaucoup de femmes étrangères, américaines, y viennent mais aussi des Danoises qui en ont entendu parler dans les médias», confirme la responsable du personnel Tanja Trab.

Pour le directeur «quand une femme investit une chambre d'hôtel, la première chose qu'elle fait est de contrôler la salle de bain: elle regarde si elle est propre, jolie, et bien aménagée. Alors que l'homme (...) vérifie la vue, la télévision, l'emplacement des prises pour charger son téléphone.»

Au 17e niveau de la tour Bella Sky, des tons rose et lie-de-vin ont donc remplacé le gris et le noir qui habillent les autres étages, et les clientes y jouissent d'attentions particulières.

Les 20 chambres du Bella Donna sont ainsi les seules à être fleuries et fournies en magazines féminins, tandis que les salles de bain disposent de shampooings, crèmes et masques de qualité supérieure.

Belle Tyson, une Anglaise logeant à l'étage, ignorait qu'il était interdit aux hommes lorsqu'elle a réservé sa chambre et dit s'en moquer. Mais elle reconnaît que les chocolats et les fruits disposés sur le bureau, «c'était vraiment très bien vu».

Ces «extras» ne constituent pas une discrimination, plaide M. Duelund en rappelant que l'hôtel dispose de 794 autres chambres accessibles aux hommes.

Par ailleurs, souligne Mme Trab, ces avantages ne sont pas gratuits: «une chambre au Bella Donna coûte 300 couronnes (53 dollars) de plus qu'une chambre équivalente à un autre étage».