«Accrochez-vous, ça va danser!» a lancé Jacky, skipper du Manga, un catamaran de 23 m.

Nous avions quitté Saint-François près de deux heures plus tôt et nous nous engagions dans le canal des Saintes, ce bras de mer qui coule entre la pointe sud de la Basse-Terre et le petit archipel des Saintes. Le soleil brillait pourtant dans un ciel dégagé, mais la mer était houleuse. À peine 10 minutes plus tard, nous sommes arrivés à la hauteur de l'îlet Cabrit - un des neuf îlots qui forment le petit archipel - et nous nous sommes engagés dans les eaux calmes de la rade de l'île de Terre-de-Haut, mieux connue sous le nom de «la baie des Saintes».

Comme celle de Tadoussac ou celle du mont Saint-Michel, l'endroit figure sur la liste du très sélect Club des plus belles baies du monde. Les Saintois affirment que c'est la plus belle, après celles de Rio (laquelle n'est pas membre du club) et d'Ha-Long, au Vietnam. Quoi qu'on pense de la légitimité de cette revendication, le fait est qu'on en prend plein la vue, grâce aux mornes escarpés. Le voilier a doublé la maison-bateau, demeure qui accroche l'oeil, avec sa saillie en forme de proue de navire et il a jeté l'ancre à une centaine de mètres du rivage. Nous étions une vingtaine de passagers et le zodiac a dû faire trois voyages pour nous débarquer tous au quai flottant déployé devant le Café de la Marine.

Les habitants de Terre-de-Haut ne se sont pas creusé les méninges pour trouver un nom au bourg où ils ont édifié leurs maisons. Ils l'ont tout simplement baptisé «le bourg».

Il est scindé en deux petits quartiers: celui de Fond Curé, au sud, et celui du Mouillage, au nord. Ce dernier est le plus animé, parce qu'une bonne partie de la rue Jean-Calo, artère piétonnière qui épouse les contours de la baie, est bordée de boutiques et de restaurants. C'est d'ailleurs cette rue que l'on emprunte pour quitter le bourg et grimper au fort Napoléon, passage obligé des touristes qui visitent Terre-de-Haut. Sur une partie des ouvrages de fortifications, on a aménagé un jardin de cactus.

De cet endroit, le regard embrasse Terre-de-Haut comme si on la survolait en avion. Ainsi, on découvre les plages déployées de l'autre côté de la muraille des mornes: celle de Grande Anse, qu'un chemin permet d'atteindre en 20 minutes de marche, à partir du bourg, et surtout celle de Pompierre, avec sa frange de cocotiers et de raisiniers bord-de-mer, ces gros arbustes résistant aux embruns salés. On jouit également d'une vue sur l'îlot de Grand-Îlet et sur Terre-de-Bas, l'autre île habitée de l'archipel. Dans les bâtiments qui, jadis, abritaient la garnison du fort, une exposition est consacrée à la bataille des Saintes, durant laquelle la marine anglaise infligea, en 1782, une sévère raclée à la flotte française commandée par l'amiral de Grasse.

De retour au bourg, le reste de la journée s'est esquivé comme une étoile filante. Une marche dans les rues bordées de maisons aux galeries de bois ouvragé, une visite à l'hôtel des Petits Saints pour l'apéritif, une balade sur la plage de la rade... Pendant le déjeuner tardif, pris au restaurant Le Gennois, qui donne sur la rade, j'ai observé les passagers qui débarquaient du traversier en provenance de Basse-Terre, des Saintois, pour la plupart, de retour du marché, avec leurs sacs pleins à ras bord. Une partie d'entre eux se sont dépêchés d'aller prendre la navette qui assure le service vers Terre-de-Bas. Leur peau était plus foncée que celle des résidants que l'on croise à Terre-de-Haut. «Il y avait des plantations de canne, donc des esclaves à Terre-de-Bas, alors qu'ici, le relief trop accidenté n'est pas propice à l'agriculture», a expliqué Rachel Alphonso-Thévenin, guide qui accompagnait notre petit groupe. Ce sont essentiellement des pêcheurs blancs qui ont colonisé la Terre-de-Haut.

Le dessert avalé, il était temps de reprendre le catamaran pour rentrer en Guadeloupe.

Au fil de la balade dans le bourg, je m'étais arrêté chez les deux Québécois, Sylvie Lavoie et Yves Blanchette, qui exploitent une société de kayaks à fond de verre. Bien qu'enclin à penser que l'enfer n'est pas seulement une vue de l'esprit, je n'ai jamais cru au paradis. Le couple Lavoie-Blanchette soutient que le jardin d'Éden existe et qu'ils y ont élu domicile. Les Saintes n'auraient donc pas usurpé leur nom!

Les frais de ce reportage ont été payés par le Comité du tourisme des îles de la Guadeloupe.

Deux sociétés assurent la liaison entre la gare maritime Bergevin, à Pointe-à-Pitre, et Terre-de-Haut trois fois par semaine (tarifs variant de 32 à 40 euros l'aller-retour). Mais plusieurs liaisons quotidiennes sont assurées vers Terre-de-Haut au départ de Trois-Rivières ou de Basse-Terre, en Guadeloupe, pour une vingtaine d'euros. Les agences réceptives de la Guadeloupe commercialisent des excursions de la journée en catamaran, qui sont vendues dans les hôtels. Ces voiliers accueillent une vingtaine de personnes et les coûts varient de 70 à 90 euros, ce qui comprend le rhum à volonté et, parfois, le repas du midi. André Désiront, collaboration spéciale