Si on fait souvent référence à la fameuse crise de la quarantaine de façon négative, les experts interrogés sont unanimes: cette étape de mi-vie est un moment charnière et inévitable de remise en question et de bilan. Une étape saine, voire bénéfique. Selon des études, c'est même le premier pas vers un état de bien-être.

Un passage obligé

Aujourd'hui, la crise du milieu de vie se situe plutôt à la mi-quarantaine ou à la fin de la quarantaine, voire à la cinquantaine. Car l'espérance de vie s'est allongée, tout comme la vie professionnelle, sans oublier qu'on a des enfants un peu plus tard.

«Au mi-temps de la vie, on sait qu'il y a un stade important qui se passe, soutient Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre des psychologues du Québec. On commence à sentir que la vie ne sera pas éternelle. C'est l'âge où on commence à perdre des amis, ses parents. On commence soi-même à sentir qu'on n'a pas la même force physique. Pour plusieurs, les enfants quittent le nid familial et on se questionne sur le sens du mariage.»

Ce moment charnière se traduira par «une réflexion sur les objectifs et les rêves qu'on n'a pas atteints, sur les risques qu'on n'a pas pris, sur les passions qu'on n'a pas vécues», poursuit Christine Grou. On se pose alors des questions sur le sens qu'on veut donner au reste de sa vie, parce qu'on prend conscience qu'elle n'est justement pas éternelle. Un questionnement tout à fait normal.

Peut-on échapper à cette crise? «C'est un passage obligé. Une étape naturelle de la vie. Et c'est très sain que cette réflexion se fasse. Pour la plupart des gens, cette période se vit très bien, sans que tout éclate en morceaux», répond Mme Grou, qui préfère parler d'étape de vie plutôt que de crise. «On revisite ce qu'on aime, ce qui nous fait du bien, nos valeurs, nos priorités, mais ça ne veut pas dire qu'on va tout balancer.»

Certains voudront entreprendre de grands projets, comme partir un an autour du monde, d'autres entameront une nouvelle carrière. Pour d'autres encore, la réflexion se passera de façon moins flamboyante.

«Notre santé physique, psychologique, sociale, professionnelle, financière va faire que cette étape va se traverser de façon plus ou moins harmonieuse», ajoute Christine Grou.

Deuil de la jeunesse

Cette étape est aussi le deuil de sa jeunesse. «La crise, c'est cela, c'est de renoncer tranquillement à cette image-là de soi-même, de jeunesse, qui est actuellement très valorisée: il faut être beau, jeune, en santé et performant. Mais d'une façon ou d'une autre, on va traverser cette crise-là et s'adapter», soutient Annie Baillargeon Fortin, enseignante au département de communication sociale et publique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Deux économistes, David G. Blanchflower et Andrew Oswald, ont récemment analysé des données de 1,3 million de personnes de 20 à 90 ans dans 51 pays *. Résultat: notre bonheur serait en forme de U, diminuant jusqu'à nos 40 ans pour reprendre un élan vers 50 ans. Une nouvelle étude britannique menée auprès de 50 000 personnes conclut aussi qu'on est plus heureux après 50 ans, rapportait The Independent

Laura Carstensen, professeure de psychologie à l'Université de Stanford, en Californie, confiait au magazine The Economist qu'on est plus heureux en vieillissant, entre autres parce qu'en se rapprochant de la mort, on profite davantage des instants présents et on se concentre sur ce qui est vraiment important.

«À 20 ans, on a beaucoup d'incertitudes, on a des désirs, mais on n'a rien réalisé encore», avance Christine Grou. Sans oublier qu'on se connaît peu. Dans la quarantaine et la cinquantaine, «on a fait des choses, on a fait des choix, on s'est établi. C'est le moment pour avoir une certaine liberté. On est plus sûr de ce qu'on veut. On a aussi une certaine confiance».

* voir l'étude: https://www.nber.org/papers/w23724.pdf

Quels impacts sur la carrière et le couple? 

Les changements de carrière et de partenaire sont souvent au coeur des questionnements de la crise de la quarantaine. Pourquoi? 

C'est durant cette période de la vie qu'on repense à sa carrière, souligne Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre des psychologues du Québec. «On se posera la question: il me reste 20 ans de carrière, est-ce que je veux passer les 20 prochaines années comme j'ai passé les 20 dernières? C'est un peu le last call si on veut faire un changement de carrière.»

Julie Carignan, psychologue organisationnelle et membre de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, explique qu'on vit des cycles. «Au début de notre carrière, on est beaucoup dans l'ambition et l'accomplissement personnel. Ensuite, on veut que notre travail ait vraiment un sens, on veut avoir un sentiment de contribution, on est en quête de quelque chose de plus grand que soi. Et en fin de carrière, on a le souci de léguer, de vouloir être un mentor.» 

Alexandre, 45 ans, directeur de production dans le domaine du jeu vidéo, est justement dans ces questionnements. «J'ai un très bon salaire et j'ai atteint mes objectifs professionnels. Mais je me sens inutile, j'aimerais contribuer à la société», dit-il, prêt à changer de domaine. «J'ai fait du bénévolat, mais ce n'est pas assez. Et les emplois dans le milieu social sont peu rémunérés», déplore-t-il. Comme il a une hypothèque à payer et de jeunes enfants, il n'est pas prêt à laisser tomber son salaire. Plus le temps passe, plus la question le tourmente. «J'y pense tous les jours!», lance-t-il. Julie Carignan confirme que tout le monde ne peut se permettre un changement professionnel. «Ça prend un virage lucide, et il n'y a pas de virage sans sacrifice.»

Et le couple?

La sexologue clinicienne et psychothérapeute Élise Bourque constate que si les couples se séparent à tout âge, «c'est plus facile de se séparer vers 40 ans qu'à 30 ou 35 ans. Dans la quarantaine, les gens ont acquis une certaine autonomie financière, professionnelle, émotionnelle», explique-t-elle.

Pour certains, c'est le temps ou jamais de trouver un ou une partenaire plus compatible. «Mais il faut savoir que ce n'est pas nécessairement mieux ailleurs. Il n'y a pas une relation extraordinaire cachée quelque part pour eux qu'ils vont trouver. Au contraire, ils risquent de rencontrer des gens blessés à plusieurs niveaux», prévient-elle. Parce qu'à 40 ans, contrairement à 20 ans, on a plus de bagages. 

Quant à l'image de l'homme quadragénaire ou quinquagénaire qui se cherche une femme plus jeune, elle est toujours d'actualité, souligne Élise Bourque. «C'est la peur de vieillir. En étant avec une femme plus jeune, ça nous donne l'illusion qu'on est plus vivant. Mais on voit aussi l'inverse de plus en plus: des femmes avec des hommes plus jeunes.»

photo tirée de linkedin

Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre des psychologues du Québec

Quatre conseils pour bien vivre ce passage de milieu de vie

Ne pas être impulsif 

Cette réflexion à la mi-vie est «une excellente chose si on n'a pas de sentiment d'urgence. Ce qu'il faut éviter, ce sont des actes impulsifs», affirme Christine Grou, psychologue et présidente de l'Ordre des psychologues du Québec. 

Ne pas être dans le déni

«Quand il y a un changement, c'est normal au début de refuser de voir ce changement. On peut avoir une angoisse et une peur», explique Annie Baillargeon Fortin, enseignante au département de communication sociale et publique de l'UQAM. «Autant on s'adapte bien comme humain, autant on a tous peur du changement parce qu'il y a de l'inconnu, et on ne sait pas comment le changement va se résoudre», ajoute-t-elle. 

En parler 

Pas toujours évident de faire un bilan lucide de son parcours. Dans ce cas, mieux vaut chercher de l'aide. «Que ce soit un coach, un mentor, un conjoint, un ami... Parfois, en parler nous aide à mieux nous comprendre et à progresser dans nos réflexions», indique Julie Carignan. Si on se sent angoissé ou déprimé, on n'hésite pas à consulter un ou une psychologue.

Ne pas avoir de regrets

On évite de rester longtemps dans les regrets et de broyer du noir, souligne Julie Carignan. «Les regrets, ce n'est pas très constructif de rester pris dedans. On peut se dire: oui, j'aurais pu faire les choses différemment, mais il y a peut-être des éléments positifs dans ma vie que je n'aurais pas eus. Donc faire la paix avec ses regrets, c'est important.» Elle conseille d'assumer ses choix passés, de s'ancrer dans le présent et se projeter dans l'avenir.

Photo tirée du site web d'Élise Bourque

Élise Bourque, sexologue clinicienne et psychothérapeute