L'air est chargé d'effluves pimentés autour de la maison de Nie Ganru, tandis que le musée de six étages qu'il vient d'achever de construire a une forme de... marmite, en hommage à sa passion: la fondue sichuanaise.

L'homme d'affaires chinois a bâti sa fortune grâce à cette spécialité culinaire, à laquelle aujourd'hui il continue de consacrer ses efforts et ses papilles, en la dégustant deux fois par jour.

Sa ville natale, la mégalopole de Chongqing, est désormais en quête d'une reconnaissance nationale et mondiale pour ce plat emblématique et M. Nie est à l'avant-garde de ce mouvement.

La fondue du Sichuan «c'est engourdissant, c'est chaud, c'est ultra savoureux, c'est un arôme qui vous saisit les sens, c'est pourquoi tout le monde aime ça» affirme à l'AFP le septuagénaire.

Appelée «hot pot» en anglais, la fondue sichuanaise consiste à faire cuire des aliments (viandes, légumes, tofu...) dans un bouillon, avec une grande caractéristique par rapport à d'autres fondues: les piments et grains de poivre très spéciaux qui en font son goût inimitable, tout en endormant les sensations.

Assis devant une table en bois, M. Nie plonge dans une marmite au contenu frémissant et huileux des capsules de sang de canard. Plus tard seront ajoutés de nouveaux piments, des tranches de racines de lotus, des légumes marinés.

Pour une fondue, «tout le monde se réunit autour d'une table, c'est convivial, c'est animé, il fait chaud», décrit-il. En bref, ce plat délie les langues tout en les anesthésiant.

Plat d'empereur et de paysans

Son musée abrite des centaines de marmites que Nie a recueillies au cours de plus d'une décennie.

Il compte un récipient soi-disant utilisé dans un palais de la dynastie des Qing au temps de l'empereur Qianlong (18e siècle) et un autre remontant à la dynastie des Zhou de l'Ouest (1046 à 771 avant notre ère).

Il y a un siècle, la fondue sichuanaise était le repas de base et bon marché pour les paysans accroupis au bord du fleuve Yangtsé baignant Chongqing, qui y faisaient cuire les tripes de boeuf et d'autres abats.

Mais le plat a depuis accompagné la Chine dans son grand bond vers la prospérité.

À Chongqing le premier restaurant a ouvert dans les années 1930 et d'autres ont suivi avant que la métropole devienne la capitale du pays pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les murs du musée de Nie Ganru sont tapissés de photos et de documents témoignant du rôle historique de la marmite, autour de laquelle se sont par exemple réunis un jour Mao Tsé-toung et le nationaliste Chiang Kai-shek, avant que ce dernier devienne la figure honnie de la Chine communiste.

«Cela fait transpirer»

En 1997 les autorités centrales chinoises ont décidé de faire de Chongqing une «municipalité autonome», la détachant de fait de la province du Sichuan, dont la capitale est Chengdu, autre haut lieu du «hot pot».

Amateurs et spécialistes ont beaucoup à dire sur les différences subtiles entre les différentes marmites de cette région gastronomique, même si les visiteurs de passage ont plutôt tendance à voir les similitudes: chaud, savoureux et relevé!

«Assurément la fondue de Chongqing se distingue vraiment et est très populaire (dans tout le pays)», explique Fuchsia Dunlop, une experte de la cuisine chinoise.

«La surface du contenu de la marmite est entièrement recouverte d'épices... cela vous met vraiment le feu à la tête».

Les habitants locaux adorent. «Cela vous réchauffe, cela a des effets bénéfiques pour le corps», assure à l'AFP Li Yao, une résidente âgée d'une vingtaine d'années. «Cela vous aide aussi à transpirer».

Aujourd'hui Chongqing cherche à obtenir l'inscription de sa fondue au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO.

Pour Mme Dunlop, cela serait la porte ouverte à une compétition accrue entre les différentes régions du pays, alors que les classements de l'UNESCO sont particulièrement importants aux yeux des Chinois.

«Si l'on commence à étiqueter ainsi les choses --patrimoine culturel immatériel en Chine-- alors, où s'arrêter? Il y a ici une culture culinaire si riche et si fantastique, avec tellement de plats dont l'histoire remonte à des siècles», souligne-t-elle.