Difficile de ne pas aimer le ramen, cette soupe aux nouilles d'origine japonaise, aussi accessible que polyvalente, qui fait actuellement fureur dans les grandes villes occidentales.

«On est censé manger ça en 10 minutes et c'est un plat hyper populaire, mais il prend en fait des heures à préparer, explique Chris Ying, rédacteur en chef du magazine gastronomique américain Lucky Peach, qui a consacré récemment tout un numéro à cette soupe. Ce qui le rend vraiment sympathique, c'est que contrairement à toutes sortes d'autres plats japonais dont les préparations doivent suivre des rÚgles assez strictes, le ramen, lui, permet de s'éclater un peu.»

Aux États-Unis comme ici, on en vend depuis des dĂ©cennies sous forme de paquets de nouilles et de bouillon dĂ©shydratĂ©s, pour des prix ridicules, un peu comme le macaroni au fromage industriel. Cette soupe a donc fait son chemin dans le rĂ©pertoire dans la catĂ©gorie «nourriture d'Ă©tudiant fauché».

Mais en réalité, cette soupe, comme la minestrone italienne, le bortsch est-européen ou le laksa indonésien, pour ne nommer que ces quelques exemples de potages célÚbres, se décline de mille façons, de la plus basique et bùclée à la plus recherchée. «Il n'y a pas de rÚgle sur la préparation du ramen, explique Junishi Ikematsu, chef-propriétaire du Jun-I, qui vient d'ouvrir Saka-Ba, un bar de ramen sur l'avenue du Mont-Royal Est. Il suffit de trouver son style.»

Actuellement, entre New York, Londres, Los Angeles, Toronto et Montréal, le ramen se réinvente un peu partout, prend du gallon, des lettres de noblesse.

Le phĂ©nomĂšne a vraiment pris tout son envol en AmĂ©rique du Nord il y a 10 ans Ă  New York, avec l'arrivĂ©e de Momofuku, le bistrot nĂ©o-corĂ©en de l'amĂ©ricain David Chang, un des porte-Ă©tendards de la tendance nĂ©o-asiatique qui sĂ©vit Ă  fond actuellement en Occident. Chang, qui avait passĂ© du temps au Japon Ă  travailler dans les bars Ă  ramen, est revenu Ă  New York avec un concept qui n'a dĂ©collĂ©, a-t-il souvent expliquĂ©, que le jour oĂč il a vraiment dĂ©cidĂ© d'en faire Ă  sa tĂȘte.

Son ramen est donc devenu spectaculaire, sans retenue japonaise, préparé avec de grosses nouilles, beaucoup de porc effiloché, beaucoup d'oignons verts et d'algues, un gros oeuf à peine poché, encore coulant.

Le ton était lancé.

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

«C'est trÚs difficile de faire un bon ramen, dit de chef Junishi Ikematsu, qui vient d'ouvrir le bar de ramen Saka-Ya à Montréal. Il faut un bon équilibre.»

À MontrĂ©al, plusieurs restaurants proposent de bons ramens. Kazu, rue Sainte-Catherine Ouest, dont le chef est un Japonais, fait partie de la liste. Il y a aussi Sumo Ramen, dans le Quartier chinois, boulevard Saint-Laurent, Ă  l'Ă©tage. J'aime bien aussi les ramens de Ramen-Ya et Misoya, une chaĂźne japonaise qui a ouvert une succursale Ă  MontrĂ©al, rue Bishop, prĂšs de l'UniversitĂ© Concordia.

Le restaurant de Junishi est le dernier venu et, Ă  mon avis, le meilleur.

Le chef fait faire ses nouilles par un monsieur de 70 ans Ă  Toronto, qui travaille avec une machine ancienne depuis prĂšs de 40 ans. La sauce soja, il la prĂ©pare lui-mĂȘme. «J'utilise des tĂȘtes et des carcasses de poisson, des shiitakes et du kombu [une algue]», dit-il, en faisant goĂ»ter sa potion qui a une complexitĂ© et une profondeur rarement vues dans les restaurants asiatiques montrĂ©alais.

En gros, une soupe ramen consiste en ceci: du bouillon, soit à base de porc, soit de poisson ou de fruits de mer, ensuite aromatisé au soja ou au miso, et dans lequel on ajoute des nouilles aux oeufs et au blé liées au kansui, sorte de bicarbonate de soude japonais. On agrémente généralement la soupe d'algues, de légumes, de viande, d'oeufs.

Chez Saka-ba, on propose deux sortes de ramen. Le premier au bouillon de porc, de type tonkotsu, et le second au bouillon de homard. Celui au porc mijote pendant huit heures, explique le chef, qui décrit en détail toutes les opérations de rinçage, de tamisage... Rien de simple.

Comme garniture, il ajoute un oeuf parfaitement poché, des algues, du porc roulé maison - il s'approvisionne chez un petit producteur, Turlo, de Saint-Germain-de-Bellechasse - et le tout fond dans la bouche.

«C'est trĂšs difficile de faire un bon ramen, affirme Junishi. Il faut un bon Ă©quilibre.» Et la constance est aussi un dĂ©fi. Tout doit ĂȘtre parfaitement cuit et composĂ© Ă  la minute. Comme une dĂ©licate sculpture. Un peu comme le poisson et le riz des sushis doivent ĂȘtre en symbiose, le bouillon et les nouilles du ramen doivent former un couple. «C'est comme un mariage», dit-il. Un exercice constant de contrepoids. «Il faut que la rencontre soit meilleure au goĂ»t que la simple somme des ingrĂ©dients.»

PHOTO ÉDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le ramen de l'izakaya Kazu: basique, généreux, réconfortant.