Le chef breton Olivier Roellinger ne mâche pas ses mots : la mer est menacée. Il faut agir. Et c'est maintenant, dans notre assiette, qu'on peut commencer à la protéger, en changeant nos habitudes de consommation de poisson. Adieu thon rouge. Bonjour chinchard, maquereau, hareng et compagnie, dont les stocks sont sains et abondants. Inspiré par les contrées lointaines que partaient jadis découvrir les marins des côtes européennes dont il est issu, le chef propose en outre de cuisiner le poisson avec des épices exotiques. Découvertes savoureuses inusitées.

«La pire chose à faire avec une huître, c'est de la servir sur de la glace pilée. L'autre erreur, c'est de garder la première eau du coquillage...»Il est 10 h. On est à peine arrivés que déjà le chef Olivier Roellinger est en train de nous servir des huîtres au cumin et aux épinards dans le cadre d'un cours privé à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ). Et déjà, aussi, il déboulonne une à une toutes les choses que j'ai toujours tenues pour acquises avec les huîtres.

La glace les rend trop froides.

La première eau n'est pas savoureuse, mieux vaut la jeter : l'huître en produira d'autre.

On a environ 15 minutes, pas plus, mais pas moins non plus, pour sortir les huîtres du frigo, les ouvrir (en fichant le couteau dans le bout le plus pointu du coquillage, surtout pas sur le flanc) et les manger.

Nous voilà tous, dans la salle, en train de repenser, du tout au tout, notre façon d'apprécier ce mollusque.

M. Roellinger était à Montréal récemment pour à l'occasion du grand repas annuel de la Fondation de l'ITHQ. Ce repas met chaque fois en vedette un grand chef des Relais et Châteaux et sert à amasser des fonds pour des bourses destinées aux élèves de l'ITHQ les plus prometteurs. M. Roellinger, dont les établissements bretons, les Maisons de Bricourt, à Cancale, font partie des Relais et Châteaux, est vice-président du réseau. Il est l'instigateur de l'audacieuse décision d'interdire le thon rouge sur toutes les grandes tables de cette association prestigieuse.

Il est fier de cette avancée. Il tenait à mener une action collective pour montrer l'exemple et protéger les stocks menacés ainsi que les écosystèmes. «On a cette dimension de leader moral, explique-t-il en entrevue. On montre la voie.» D'autant plus que, en Europe à tout le moins, 50 % du poisson est consommé hors foyer, donc au restaurant.

Surpêche et élevages néfastes

Victime de la surpêche, le thon rouge de l'Atlantique et de la Méditerranée fait partie des poissons en voie de disparition. Il faut donc cesser de le consommer sur-le-champ. Mais plusieurs autres espèces sont aussi visées par les nombreux questionnements autour des ressources halieutiques. L'espadon, le bar du Chili, le flétan sont menacés. La raie et l'anguille sont à surveiller, note le chef. D'autres poissons doivent aussi être mis de côté parce que les méthodes utilisées pour les capturer sont destructrices. C'est le cas de la lotte, par exemple, pêchée avec des chaluts qui arrachent tout le fond de la mer sur leur passage. Puis il y a les poissons d'élevage, qui grandissent dans des milieux industriels, polluants, qui souvent contaminent leur milieu...

«On est en train de vider des secteurs entiers de la mer avec des bateaux minotiers pour nourrir les élevages, au détriment de petits pêcheurs qui font vivre des villages, dit le chef Roellinger. Pour faire 1 kg de poisson engraissé, on a besoin de 17 kg de farine de poisson. C'est honteux. Il faut que les gens comprennent que le garde-manger de la mer n'est pas inépuisable.»

Ça ne veut pas dire, toutefois, qu'il faille cesser toute consommation de poisson. Surtout que de nombreuses questions écologiques se posent aussi au sujet de la viande. Mais les poissons et fruits de mer doivent être choisis intelligemment, selon la saison, selon la taille, selon les espèces. Certaines espèces, dont les stocks sont abondants, souvent les petits poissons au bas de l'échelle de prédation, doivent être mises de l'avant, redécouvertes, cuisinées à nouveau, avec créativité : sardines, maquereaux, harengs, brème, lieu jaune...

«Au fait, demande le chef Roellinger, vous connaissez le sushi de chinchard ? Un des meilleurs.»

J'AI LU Une cuisine contemporaine, Olivier Roellinger, Flammarion

Le chef Roellinger réunit dans sa cuisine son amour pour les produits de la mer et son goût du voyage, inspiré, lui aussi, par les océans. Et cette envie de partir, il l'incarne en saveurs avec les épices, symboles de découvertes et d'exotisme. Il en fait donc des mélanges complexes, pour cuisiner poissons et fruits de mer. Homard au cacao, huîtres au cumin... Dans les casseroles du chef breton, il n'est pas question de laisser les épices à la viande. Poissons, crustacés et coquillages se marient eux aussi tout à fait avec des parfums de poivre, de cannelle, de muscade, de badiane... Pour cuisiner la mer autrement.

Notre mer nourricière, Taras Grescoe, VLB Éditeur

Le livre Bottom Feeder, de Taras Grescoe, vient de paraître en français chez VLB. Tant mieux. Cet ouvrage écrit comme une suite de petites nouvelles par le journaliste montréalais est incontournable pour quiconque s'intéresse à l'alimentation. On y apprend, en voyageant avec l'auteur, le sort des réserves halieutiques dans le monde entier. Des élevages de crevettes polluants en Asie aux ostréicultures de Virginie, en passant par les côtes méditerranéennes, on comprend pourquoi il faut arrêter de manger certaines espèces, mais aussi comment on peut continuer à manger du poisson sainement et écologiquement.

J'ai testé

Les épices Roellinger

À force de se faire demander ses recettes de mélanges d'épices par ses clients, Olivier Roellinger a décidé de les commercialiser. Pour le cuisinier en herbe, l'idée est géniale. Le mariage des épices, qui proviennent de producteurs triés sur le volet, est déjà équilibré. Il ne reste qu'à intégrer le tout aux bonnes bases (une poudre pour les plats à base de tomate, une autre pour les fruits...) et le tour est joué. Surtout pour la «poudre défendue», mélange à base d'anis, de gingembre et de cannelle, qui fait des miracles avec les fraises, ananas, bananes... On peut se procurer ces mélanges sur l'internet. 8,50 € (environ 11 $ CAN) pour 40 g, livraison en sus.

www.maisons-de-bricourt.com

Pour savoir quels poissons on peut consommer, on peut télécharger les cartes informatives de seachoice.org, présentées en français.

Pour savoir quels restaurants suivent les recommandations d'OceanWise, organisme qui prône la consommation responsable de poisson : www.vanaqua.org

Pour le moment, au Québec, seuls le restaurant Saint-Urbain, à Ahuntsic (le pionnier), et les restaurants de l'hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth, dont le Beaver Club, suivent le programme Ocean Wise, alors qu'en Ontario on en compte une bonne trentaine.

Si vous achetez du poisson surgelé au supermarché, cherchez le logo bleu du Marine Stewardship Council, qui certifie que le poisson a été pêché correctement.